L’analyse de Fidel Martin, Président d’Exoé, table de négociation
experte pour les professionnels de la gestion d'actifs.
Loin d’être une vue de
l’esprit, l’alerte lancée par les acteurs de la finance européenne sonne comme
une mise en garde solennelle. Notre continent, riche de ses talents, de son
industrie et de ses ambitions, qu’elles soient numériques, écologiques ou stratégiques,
risque de manquer le train de l’avenir faute d’une finance adaptée, unie et
ambitieuse.
Pourquoi l’Europe se
fragilise financièrement
• Des marchés fragmentés, trop dispersés. L’Union européenne
reste loin de la promesse d’un véritable marché unique des capitaux : 27
régulations nationales, autant de systèmes fiscaux et juridiques, des pratiques
disparates. Résultat : un investisseur international hésite à engager
massivement ses fonds, jugeant trop complexe et risqué un déploiement à
l’échelle européenne.
• Une fuite des entreprises innovantes vers
l’étranger.
Trop peu de start-ups et de “scale-ups” européennes finissent par se financer
ou se coter localement : elles vont chercher des capitaux là où le marché est
lisible, liquide et attractif, souvent aux États-Unis ou ailleurs. L’écosystème
“actions européennes” s’appauvrit, au détriment de l’innovation sur notre
continent.
• Une épargne importante, trop peu mobilisée
pour l’économie européenne. Malgré un taux d’épargne élevé parmi les ménages de l’UE,
une grande partie reste dormante ou investie dans des produits conservateurs,
peu risqués, peu orientés vers la croissance réelle. Cette “force endormie”
pourrait pourtant financer la transition écologique, la numérisation, la
recherche, mais aussi la souveraineté industrielle et stratégique de l’Europe.
Ce qu’il faut changer :
quatre chantiers urgents
1. Achever l’union des marchés de capitaux. Nous avons besoin d’un
cadre juridique et fiscal harmonisé, simplifié, transparent, qui donne
confiance aux investisseurs, qu’ils soient européens ou internationaux.
L’Europe doit agir pour devenir une place crédible et compétitive face aux
États-Unis et à l’Asie.
2. Rediriger l’épargne des ménages vers
l’investissement durable et innovant. Grâce à des incitations, de la transparence,
des labels, comme le récent Finance Europe, nous devons orienter massivement
les capitaux privés vers les entreprises européennes, la croissance, la
R&D, la transition énergétique, les filières stratégiques.
3. Favoriser le financement des PME, scale-ups et
entreprises de demain. Les banques seules ne suffiront pas. Il faut développer
les marchés obligataires, actions, venture capital, créer des véhicules
d’investissement à long terme capables d’accompagner l’innovation, le risque,
l’ambition des entrepreneurs européens.
4. Assurer une vision stratégique, économique,
industrielle, écologique, technologique. La finance doit être le levier permettant à
l’Europe de financer la transition verte, la souveraineté technologique, la
résilience face aux crises. Sans une orientation claire, cohérente et
ambitieuse, nous resterons à la traîne.
Pour une Europe capable
de financer ses ambitions et de rester libre
Nous devons accepter
l’idée que la finance n’est pas un simple rouage technique. Elle est au cœur de
notre souveraineté économique et stratégique. À l’heure où le monde se
redessine, géopolitiquement, technologiquement, écologiquement, il est
illusoire de croire que l’Europe peut compter seulement sur ses États. Non :
c’est l’ensemble des acteurs, citoyens, investisseurs, institutions, qu’il faut
mobiliser.
Si l’Europe ne se dote
pas rapidement d’un marché de capitaux véritablement intégré, efficace et
attractif, elle continuera d’exporter ses pépites, d’importer des technologies,
de subir au lieu de choisir. À l’inverse, en réformant dès maintenant, en simplifiant,
en harmonisant, en orientant l’argent là où il crée de la valeur, elle pourra
réinvestir dans son avenir, ses entreprises, son industrie, ses citoyens.
Ce n’est pas seulement une question de finance. C’est une question d’avenir.


