L’analyse
de Fidel Martin, Président d’Exoé.
Sur les marchés
financiers, la transparence n’a jamais autant été vantée, ni autant menacée.
Depuis quinze ans, les régulateurs européens ont multiplié les textes pour
rendre les marchés plus clairs, plus équitables, plus accessibles. Pourtant,
jamais la structure même de ces marchés n’a semblé aussi opaque. Derrière les
acronymes techniques et les plateformes de dernière génération, un enjeu
fondamental se joue : celui de la neutralité de l’exécution.
L’exécution des ordres
est souvent perçue comme un simple rouage technique. En réalité, elle
conditionne tout : la qualité de la formation des prix, la confiance des
investisseurs, et in fine, la stabilité du système. C’est aussi le maillon le
plus discret, et donc le plus vulnérable, de la chaîne de valeur.
La concentration, un
risque sous-estimé
La consolidation du
secteur financier a profondément remodelé le paysage. Les grandes institutions
intègrent désormais la recherche, la gestion, l’exécution et la compensation
dans un même écosystème. Cette intégration verticale peut sembler efficace ; elle
l’est sans doute à court terme. Mais elle brouille dangereusement les lignes
d’indépendance et crée des conflits d’intérêts structurels.
Lorsqu’un acteur gère à
la fois les ordres et la liquidité, il devient juge et partie. Peut-il vraiment
garantir une exécution “au mieux des intérêts du client” lorsqu’il alimente sa
propre plateforme, son propre algorithme, ou son propre carnet d’ordres interne
? L’enjeu n’est plus seulement réglementaire, il est philosophique : peut-on
parler de transparence dans un marché où la neutralité n’existe plus ?
La transparence de
façade
Les régulateurs
européens ont cru, à raison, qu’en multipliant les obligations de reporting, la
transparence suivrait. En pratique, les données post-trade sont souvent
illisibles, fragmentées, et inexploitables pour la majorité des acteurs. La
“transparence” devient un océan de chiffres sans signification, que seuls les
grands groupes disposent des moyens d’analyser.
Par ailleurs, les
technologies d’exécution ont évolué plus vite que les cadres réglementaires.
Les algorithmes de trading, désormais omniprésents, sont des boîtes noires :
opaques, propriétaires, et parfois biaisées par des intérêts commerciaux.
L’investisseur, lui, se retrouve face à un système qu’il ne comprend plus, où
l’équité d’accès à la liquidité n’est qu’un idéal théorique.
L’indépendance, une
exigence éthique
Dans ce contexte,
l’indépendance de l’exécution apparaît comme un garde-fou indispensable. Non
pas une nostalgie d’un marché d’hier, mais une nécessité pour préserver la
confiance. Les acteurs indépendants, non liés à des flux de gestion ou à des
intérêts de plateforme, garantissent une neutralité réelle dans la recherche de
la meilleure exécution.
C’est aussi une
condition de résilience du marché : dans un univers où les grandes
infrastructures se concentrent et se délocalisent, conserver un tissu
d’intermédiaires neutres permet d’éviter une dépendance systémique à quelques
entités tentaculaires.
Repenser le rôle de
l’exécution dans la régulation
Les débats autour de
MiFID III, de la transparence des dark pools ou de la supervision algorithmique
doivent intégrer cette dimension. Trop souvent, l’exécution est abordée sous un
angle purement technique ou technologique. Elle mérite une approche politique :
qui contrôle le marché ? Qui garantit que les flux d’ordres sont traités avec
équité ?
L’indépendance n’est
pas un luxe, c’est une forme de responsabilité. Tant que les acteurs de marché
accepteront de confier leur exécution à des structures intégrées, la
transparence restera partielle, et la confiance fragile.
Le marché ne se résume
pas à la performance : il repose sur un pacte implicite entre investisseurs,
intermédiaires et régulateurs. Si ce pacte se rompt, c’est toute l’architecture
de la finance moderne qui se fissure.
La transparence n’existe que s’il n’y a rien à cacher. L’indépendance, c’est précisément cela : la capacité à agir sans arrière-plan caché.


