Le point de vue d’Etienne Gorgeon
Responsable Gestion Obligataire chez Sanso Longchamp AM
Alors que
nombre d’investisseurs restent prudents, les marchés poursuivent leur
ascension.
Actions,
crédit, obligations : tout progresse, porté par une confiance quasi
inébranlable dans la capacité de la Fed à soutenir l’économie et à prévenir
tout dérapage.
Mais cet
optimisme, devenu presque automatique, repose sur un équilibre fragile : une
liquidité toujours abondante et une tolérance grandissante au risque.
Lorsque
la Fed abaisse ses taux directeurs alors que l’économie ne montre pas de signe
de récession imminente, elle prend le risque d’alimenter une nouvelle phase
d’euphorie sur les marchés.
C’est ce
que les économistes appellent un melt-up : une hausse rapide, parfois
irrationnelle, des indices actions.
En
réduisant ses taux, en mettant fin au quantitative tightening et, surtout, en
minimisant constamment les risques de bulle, la Fed réaffirme en réalité un
biais ancien : celui d’une politique monétaire profondément asymétrique.
Loin
d’adopter une position restrictive, elle donne en pratique son feu vert à une
nouvelle phase de hausse généralisée, aussi bien sur les actifs risqués que sur
les valeurs refuges.
Des
parallèles frappants avec 1999
C’est
exactement ce qui s’était produit à la fin des années 1990, lorsque la Fed
avait assoupli sa politique monétaire après la crise du fonds LTCM : le Nasdaq
s’était envolé de 86% et le S&P 500 de 20%.
Le
contexte actuel présente des similitudes : une économie résiliente, un cycle
d’assouplissement amorcé, et un boom de l’investissement privé.
À la fin
des années 1990, c’était Internet ; aujourd’hui, c’est l’intelligence
artificielle. Dans les deux cas, l’enthousiasme a pris le pas sur la prudence.
L’excès
de liquidité, relâchement de la vigilance
Ces
phases d’euphorie s’accompagnent souvent d’un relâchement de la vigilance. Les
récents cas de défauts frauduleux de Tricolor et First Brands aux États-Unis en
témoignent : ils ont entraîné des dépréciations chez plusieurs grandes banques,
dont JPMorgan, et affecté plus visiblement la valorisation de certaines banques
régionales comme Zions ou Western Alliance.
Aux
États-Unis, la grande majorité de la production de crédit bancaire alimente
aujourd’hui le shadow banking, c’est-à-dire des institutions financières non
bancaires et non régulées. Or, c’est souvent là où les flux sont les plus
abondants que la vigilance tend à se relâcher.
Des
marchés porteurs, mais déjà bien valorisés
Dans ce
contexte, nous considérons que les marchés d’actions et du crédit intègrent
déjà une grande partie des bonnes nouvelles.
Ils
devraient rester bien valorisés dans un environnement macroéconomique résilient
et soutenu par des flux toujours importants.
Mais
cette abondance plaide pour une sélectivité renforcée, tant dans le choix des
sociétés que dans celui des classes d’actifs, dont les trajectoires de
performance seront probablement très contrastées.
Sur
les taux, un cycle qui s’achève en Europe
Sur le
marché obligataire, il nous semble que le cycle de baisse est désormais achevé
en Europe.
Aux
États-Unis, le marché continue d’anticiper un nombre excessif de baisses de
taux au regard de la vigueur persistante de l’économie américaine.
Là
encore, la prudence reste de mise : un excès de liquidité entretenu par les
banques centrales pourrait prolonger un état de complaisance, alors même que
l’inflation demeure élevée notamment aux Etats Unis.
Un
marché en excès de confiance
Les
marchés demeurent porteurs, soutenus par l’action de la Réserve fédérale, qui
s’inquiète plus des risques sur le marché de l’emploi et des tensions sur le
marché monétaire que des bulles éventuelles que son action pourrait générer à
l’avenir, avec tous leurs désagréments.
Dans cet environnement, la discipline et la sélectivité ne sont plus de simples vertus : elles deviennent des impératifs.


