Interview croisée de Valérie Klarner, responsable diversité & inclusion de KPMG et Bertrand Descours, directeur général de Lili for life.
Ils sont nombreux à
penser vite, voir en image, contourner les obstacles avec agilité. Et pourtant,
en entreprise, les salariés dyslexiques sont encore invisibles. Leur trouble,
souvent mal compris, les pousse à compenser, à se taire, à s’adapter à des normes
qui ne sont pas pensées pour eux. Pourquoi ce silence persiste-t-il ? Que
peuvent faire les RH pour inclure ces profils ?
On entend parler de
dyslexie à l’école… mais jamais au bureau. Pourquoi ?
- Bertrand Descours : Parce qu’en
entreprise, la dyslexie est un sujet que l’on évite. À l’école, c’est connu, il
y existe des dispositifs et des enseignants sensibilisés. Mais dès que l’on
entre dans le monde du travail, tout repose sur la performance et la
conformité. Dans ce contexte-là, quand on est dyslexique, on apprend à se
taire. Et cela fonctionne : on s’adapte, on compense, on évite de se faire
repérer. Mais derrière, il y a de l’épuisement, de la frustration, et une
grosse perte de potentiel.
- Valérie Klarner : Et cette invisibilité,
elle est réelle. On peut travailler des années avec une personne dyslexique
sans le savoir. Parce qu’il y a peu d’espaces où il est possible d’en parler.
Le sujet est encore perçu comme scolaire, alors qu’en fait, il structure aussi
la façon de travailler à l’âge adulte. On ne sait juste pas quoi en faire, donc
on l’ignore. Et c’est comme cela que le sujet devient un angle mort RH.
Pourquoi ce silence ?
- B. D. : Parce que dire : « Je
suis dyslexique », fait peur. On craint d’être jugé, de passer pour moins
compétent, de perdre en crédibilité. Pourtant, la dyslexie, ce n’est pas une
faiblesse, c’est un fonctionnement cognitif différent. Mais tant que les
entreprises restent dans une logique d’hyper-normalisation, ce type de
singularité reste difficile à assumer.
- V. K. : Et il y a un deuxième problème : même quand les personnes veulent en parler, elles ne savent pas à qui s’adresser. Il y a peu de référents formés, peu de messages en interne qui disent :
« C’est OK de le dire. » Résultat, les gens gèrent seuls. Et c’est
dommage, parce qu’on passe à côté de compétences qui pourraient enrichir
l’équipe.
Que peut-on faire,
alors, pour mieux accompagner ces profils ?
- V. K. : La première chose est
d’arrêter de tout faire reposer sur la personne. Ce n’est pas à elle de
s’adapter coûte que coûte. C’est à nous, RH et managers, d’ouvrir un cadre plus
souple. Chez KPMG, nous mettons en place des outils simples : dictée vocale,
reformulation orale, aménagement de certaines tâches écrites… Et surtout, on
parle du sujet en interne. Dès qu’un collectif se sent concerné, les choses
bougent.
- B. D. : On a tendance à
chercher des solutions compliquées, alors qu’il y a déjà plein de choses
accessibles. Adapter les consignes, proposer un autre format, auto- riser
l’usage d’outils numériques, reformuler si besoin... Ce qu’il faut, c’est
changer notre regard : arrêter de partir des difficultés, et commencer à partir
des forces. Une personne dyslexique, ce n’est pas juste quelqu’un qui lit moins
vite, c’est souvent quelqu’un qui pense plus vite, voit les choses autrement, a
un rapport très intuitif au collectif. Mais si on ne leur laisse pas d’es- pace,
cela reste caché.
Qu’est-ce qu’attendent
vraiment les personnes concernées ?
- V. K. : D’abord, qu’on les écoute. Ensuite, qu’on les comprenne sans les réduire à leur trouble. Et enfin, qu’on leur permette d’effectuer leur travail sans double peine. Un salarié dyslexique n’a pas besoin de traitement particulier, juste d’un environnement qui reconnaît ses forces et aménage ce qui peut l’être.
Ce n’est pas une faveur,
c’est une condition d’égalité.
- B. D. : Ils veulent qu’on
arrête de croire qu’ils ont un « problème ». Leur cerveau ne fonctionne pas
moins bien, il fonctionne autre- ment. Et cela peut être un atout énorme. On
connaît tous des pro- fils très performants à l’oral, très créatifs, très
rapides dans la résolution de problèmes… mais qui rencontrent des difficultés à
écrire un mail. C’est la réalité du terrain. Si on arrête de valoriser
uniquement l’écrit ou la norme linéaire, ces per- sonnes peuvent devenir des
piliers dans l’équipe.
Côté RH, par quoi
faut-il commencer ?
- V. K. : Il faut parler du
sujet, tout simplement. Organiser un atelier, un webinaire, relayer des
ressources. Dès que la parole circule, les personnes concernées sortent de
l’ombre. Ensuite, former les managers : leur dire que c’est OK d’adapter, que
l’important c’est la compétence, pas la forme. Et enfin, mettre en place des
outils simples : dictée vocale, correcteurs, outils visuels… Il ne s’agit pas
de tout révolutionner. Il s’agit d’ouvrir les fenêtres.
- B. D. :
J’ajouterais : sortez de la logique du « manque ». Trop sou- vent, on regarde
ce que la per- sonne ne fait pas bien. On se dit : « Elle écrit lentement, elle
fait des fautes. » Mais qu’est-ce qu’elle fait mieux que les autres ? C’est là
que tout se joue. Si on s’appuie sur les bons leviers, non seulement la per-
sonne est mieux dans son poste, mais elle contribue davantage. Et souvent, elle
s’investit plus que les autres, parce qu’elle a l’habitude de fournir un effort
supplémentaire. Encore faut-il lui donner les bons outils.
Vous parliez d’outils.
Un exemple pour terminer ?
B. D. : Il n’existe pas de
solution unique, mais plusieurs leviers complémentaires. Chez Lili for Life,
nous avons conçu une lampe et un écran fondés sur une technologie de lumière
stroboscopique, qui permet de stabiliser les lettres et facilite ainsi la
lecture. Mais au-delà de nos innovations, il existe une palette d’outils…
encore faut-il que l’environnement de travail per- mette à ces outils d’être
vraiment utiles. Notre mission ne s’arrête pas à la technologie : nous accompagnons
aussi les entreprises pour qu’elles reconnaissent la dyslexie, qu’elles en
parlent, qu’elles fassent émerger des pratiques inclusives. C’est là que
l’impact est réel !
Propos recueillis par Alexis Ellin, ANDRH.


