Lors d’une table ronde consacrée aux risques liés à l’intelligence artificielle, Axelle Arquié, économiste et fondatrice de l’OEM (Observatoire des Emplois Menacés et Émergents), a présenté le 9 décembre une analyse des risques associés à la “bulle IA”.
Elle identifie une exposition
croissante du système financier via l’endettement et les montages spécialisés,
une concentration inédite des acteurs sur l’ensemble de la chaîne de valeur,
ainsi qu’un choc probable sur l’emploi des cols blancs d’ici trois à cinq ans.
Selon elle, les gains de productivité attendus ne compenseraient pas les destructions
de postes si la captation de valeur reste extra-territorialisée.
Bulle IA : un risque
systémique davantage proche de 2008 que de 2001
Les grandes vagues technologiques s’accompagnent souvent d’une bulle, sans remettre en cause leur caractère transformateur. Axelle Arquié souligne toutefois que la dynamique en cours s’appuie de plus en plus sur des financements par la dette et des structures dédiées, renforçant le risque de contagion financière. Des exemples récents, dont des projets d’infrastructures aux États-Unis, illustrent cette tendance et rappellent les mécanismes observés avant la crise de 2008. « La question n’est pas de savoir si l’IA transformera l’économie, mais comment absorber une vague d’investissements, qui mènera peut-être à une surcapacité, et concentrée sur très peu d’acteurs. » précise-t-elle.
Concentration et
intégration de la chaîne IA
L’écosystème se
caractérise par des alliances et accords couvrant modèles, puces et capacités
de calcul. Cette intégration réduit la concurrence et augmente le pouvoir
économique et politique d’un ensemble restreint d’entreprises. Pour Axelle
Arquié, cette structure rend difficile toute redistribution au sein de l’Union
européenne si la valeur est captée majoritairement hors de son territoire.
Technologie encore
fragile, freins organisationnels dominants
Les limites techniques
actuelles telles les hallucinations, l’absence de mémoire épisodique, ou la
coordination d’agents sont connues. Les progrès rapides ne suffisent toutefois
pas à sécuriser les usages à grande échelle. Les principaux freins se situent
dans l’organisation du travail : conception de workflows robustes, présence du
contrôle humain et gestion des cas complexes.
De nombreux projets
échouent en raison de taux de résolution insuffisants ou de dégradations de la
qualité client.
Chocs d’emploi :
exposition forte des cols blancs
L’IA affecte en premier
lieu les tâches cognitives : data/analytics, service client, création, écriture
et traduction.
Les juniors constituent la population la plus exposée, avec des difficultés d’insertion déjà visibles dans plusieurs pays. Les secteurs du conseils et juridiques pourraient connaître des réductions d’effectifs sous trois à cinq ans, notamment en raison de l’arrivée d’agents capables d’automatiser des étapes intermédiaires. « Les signaux montrent que les juniors sont touchés dès maintenant. Mais cela ne pourrait être qu’une première étape, le temps que la technologie soit mature et intégrée aux organisations. » ajoute-t-elle.
Productivité réelle
mais hétérogène
Les estimations de
gains de productivité varient fortement : autour de 1,4% sur dix ans selon les
scénarios prudents, jusqu’à 7% dans les scénarios optimistes. Au niveau micro,
les gains de productivité mesurés dans le service client peuvent atteindre 14%. Ces chiffres s’accompagnent d’un risque de baisse de la qualité du service
sans dispositifs adaptés d’escalade humaine.
Redistribution limitée
si la valeur reste extra-territorialisée
Une redistribution
efficace dépend d’une assiette fiscale suffisante. Axelle Arquié souligne que
la captation de valeur par un nombre restreint d’acteurs internationaux limite
la capacité européenne à amortir les transitions professionnelles par des mécanismes
de revenu de remplacement.
Infrastructures et
contrainte énergétique
Les investissements
massifs dans les data centers soutiennent actuellement l’activité dans certains
pays. Leur contribution à la croissance reste discutée, tandis que la
contrainte énergétique pourrait devenir critique d’ici la fin de la décennie,
notamment en cas d’essor simultané de la robotique et des usages IA intensifs.
« L’IA progresse vite, et le possible surinvestissement actuel ne remet pas en cause sa nature transformatrice. Elle automatisera progressivement de nombreuses tâches cognitives. Le risque principal portera sur l’emploi des cols-blancs, amplifié par une concentration inédite fragilisant les mécanismes de redistribution. » conclut Axelle Arquié.


