La “Grande Démission” a fait couler beaucoup d’encre. Mais le véritable mouvement qui traverse aujourd’hui les entreprises est plus subtil, plus silencieux, et peut-être plus inquiétant : celui des salariés, souvent en seconde partie de carrière, qui restent… sans vraiment rester. Ils ne partent pas, mais se retirent peu à peu de leur rôle, démobilisés, en quête d’autre chose.
Ce phénomène, qu’on appelle parfois “reconversion silencieuse”,
n’est pas une stratégie délibérée. C’est le symptôme d’une volonté de
transition – interne ou externe – qui n’a pas trouvé de cadre ni
d’accompagnement.
Un signal d’alerte dans
la seconde partie de carrière
Hello Masters, 1er réseau social pour cadres et dirigeants de plus de 20 ans d’expérience, a constaté que dès 45 ans, beaucoup de salariés ressentent le besoin d’un nouveau souffle : moins de routine, plus de sens, la possibilité de transmettre et de se réinventer. Or, les chiffres parlent d’eux-mêmes :
• Chaque année, 1,4
million d’actifs changent de métier en France, soit près de 7,4% de la
population active.
• Chez les plus de 50
ans, moins de 15% envisagent une reconversion, faute de perspectives
réelles ou de dispositifs adaptés.
Ce décalage crée une
zone grise :
les seniors restent en poste, mais sans dynamique nouvelle.
C’est cette absence
de reconnaissance et d’accompagnement qui nourrit la démobilisation.
Quand la rupture
conventionnelle devient la seule issue
Face à cette lassitude,
la rupture conventionnelle a souvent servi de soupape. En 2024, plus de
514 000
ruptures conventionnelles ont été signées en France, pour un coût estimé à 10 Mrds€ pour l’assurance chômage.
Mais le gouvernement
entend durcir le dispositif, jugeant qu’il encourage trop souvent des départs
“subis” ou des “démissions déguisées”. Résultat : de nombreux salariés,
notamment expérimentés, risquent de rester piégés dans une impasse – ni
mobilisés dans leur poste, ni accompagnés vers une évolution interne, ni
autorisés à quitter l’entreprise dans de bonnes conditions.
Reconversion
silencieuse : un coût caché
Ce statu quo n’est pas
neutre :
• Pour le salarié, c’est la perte
progressive d’identité professionnelle, le désengagement et parfois la
résignation.
• Pour l’entreprise, c’est une perte de
productivité, une démotivation contagieuse et, à terme, une fuite des
compétences critiques.
La reconversion
silencieuse n’est pas une stratégie gagnant-gagnant. C’est un signal d’alerte :
quand un salarié ne voit plus de trajectoire possible, il s’éteint à petit feu
dans son poste.
Et si on en faisait une
opportunité ?
Plutôt que de laisser
s’installer cette zone grise, les entreprises ont tout à gagner à ouvrir un
espace de transition :
1. Accompagner les
carrières après 45 ans, avec des entretiens réguliers et des bilans de compétences
sérieux.
2. Offrir des voies de
mobilité interne :
passerelles métiers, missions transverses, mentorat, formations adaptées.
3. Valoriser la
transmission :
reconnaître que l’expérience accumulée est un capital stratégique, pas un
poids.
4. Créer des
dispositifs de sortie dignes pour ceux qui veulent réellement partir, afin
d’éviter les ruptures subies.
La reconversion
silencieuse n’est pas un choix conscient, c’est un symptôme. Celui d’une
transition professionnelle désirée mais empêchée. Y voir une stratégie, c’est
se tromper de diagnostic.
La seconde partie de carrière mérite mieux que l’ombre et la résignation. Elle peut devenir un temps de transformation, de transmission et de valeur ajoutée pour l’entreprise. Encore faut-il nommer le phénomène et lui donner un cadre. Car dans ce silence, c’est toute une richesse qui se perd – et il est urgent d’y répondre.


