Par Laurent
Chaudeurge, Membre du comité d’investissement de BDL Capital Management
Lors des 10 dernières
années, les investisseurs européens ont progressivement abandonné la
gouvernance de leurs entreprises aux américains. Ce triste constat est la
conséquence de leur appétit grandissant pour les actions internationales
(américaines au premier plan) et de l’essor continue de la gestion passive.
Sur 10 ans, les
européens ont progressivement cédé 10% du capital des entreprises européennes
aux étrangers, notamment aux américains, et le poids de la gestion passive a
doublé pour atteindre la moitié des encours gérés en gestion collective et plus
des deux tiers des capitaux des investisseurs institutionnels.
Aujourd’hui, les
investisseurs américains représentent près de 25% du flottant des entreprises
européennes. Mais, sous l’effet de la gestion passive, l’influence des
Etats-Unis dans la gouvernance de « nos » entreprises est probablement le
double, soit la majorité du capital circulant.
En effet, la gestion
passive est un oligopole de trois gestionnaires d’actifs américains (Blackrock,
Vanguard, State Street) qui appliquent des principes de gouvernance génériques
imposés par 2 agences de votes américaines (ISS et Glass Lewis). Cela signifie
que l’immense majorité des encours en gestion passive ou semi-passive votent en
AG selon des conseils prodigués par ces organismes américains. Quand le poids
de la gestion passive était faible, cette situation n’avait pas de conséquences
sur notre souveraineté. Désormais, que ce soit en gestion collective ou chez
les investisseurs institutionnels, comme la gestion passive est devenue la
méthode d’investissement majoritaire, les intérêts américains au capital des
entreprises européennes sont aussi devenus majoritaires.
À la suite de son
élection, D. Trump a eu le mérite de nous faire comprendre rapidement et
brutalement que nous ne pouvions compter que sur nous, européens, pour assurer
notre souveraineté à long terme. Les Etats ont réagi, notamment concernant les
dépenses militaires. L’Allemagne en tête, avec son plan de relance de 1000
milliards d’euros sur 10 ans, a montré qu’il fallait oser s’émanciper de nos
propres règles historiques pour nous inventer un futur autonome et souverain.
Il faut en faire de
même concernant le capital de nos entreprises européennes. Affaibli par une
politique économique à géométrie variable, un endettement démesuré qui impose
plus de restriction budgétaire, et une administration qui pense que le dollar
est trop fort, l’exceptionnalisme américain faiblit dans l’esprit des
investisseurs. Pour la première fois
depuis cinq ans, les souscriptions sur les fonds actions américaines stagnent
alors qu’elles redémarrent (enfin) sur les actions européennes.
De plus, la
concentration des indices est à un plus haut historique, ce qui, par le passé,
a coïncidé avec plusieurs années favorables à la gestion active. Enfin, le MSCI
World ne remplit plus son vraiment son rôle, il est devenu de facto le « MSCI
USA » puisque les Etats-Unis représentent 75% de l’indice alors que le PIB
américain ne représente que 25% du PIB mondial.
Tout indique qu’il faut
à la fois revisiter les perspectives européennes et sortir du diktat de la
gestion passive pour reprendre le contrôle de « nos » entreprises. La gestion
passive démocratise l’investissement en actions à faible coût et maintient une
forte exigence sur la gestion active. Mais quand son poids devient excessif,
cela mène inévitablement à l’indigestion. Nous y sommes.
La seule façon de
préserver notre souveraineté européenne est de contrôler la gouvernance de nos
entreprises et donc d’être largement majoritaires à leur capital. Il n’y a
qu’une seule voie pour y parvenir : orienter à nouveau une partie de nos
capitaux sur les actions européennes et remettre en question le poids
raisonnable de la gestion passive dans nos investissements. Les marchés cotés
européens offrent actuellement de nombreuses entreprises de qualité à des prix
très raisonnables, parfois même à des prix historiquement bas.
L’opportunité de retrouver notre souveraineté est là, devant nous, immanquable. Saisissons là en osant être des actionnaires convaincus de nos entreprise européennes.


