L’arrivée au pouvoir d’un dirigeant populiste
bouleverse les repères économiques, institutionnels et politiques. Comment les
entreprises doivent-elles réagir ? Faut-il réduire leurs investissements ?
Comment évaluer les risques ?
Pour répondre à ces
interrogations, trois chercheurs dont Margherita Corina et Alfonso Carballo,
enseignants-chercheurs à NEOMA Business School, ont étudié les décisions
d’investissement de 36 000 entreprises implantées dans 42 pays, entre 2005 et
2021.
Leur objectif : identifier les
critères qui influencent les stratégies d’investissement en contexte populiste.
L’étude révèle que là où le populisme s’installe, les investissements reculent,
sauf lorsque certaines institutions démocratiques parviennent à freiner les réformes
unilatérales. Mais ces garde-fous s’érodent à mesure que les leaders populistes
consolident leur pouvoir, accentuant l’incertitude pour les entreprises.
Là où le populisme
s’installe, l’investissement décroît
Depuis la crise
financière de 2008, la montée du populisme s’accompagne souvent d’une remise en
cause des institutions, d’un discours polarisant entre "peuple" et
"élites", et d’un usage plus personnel du pouvoir. Ces dynamiques
créent une incertitude politique accrue. « Difficile pour une entreprise
d’investir lorsqu’elle ne peut plus anticiper les règles du jeu économique »,
analysent les auteurs. En moyenne, les investissements diminuent
significativement dans les pays où un dirigeant populiste est élu, en
particulier lorsque ce dernier adopte des mesures rapides, peu concertées, ou
modifie les cadres institutionnels existants. Mais l’étude souligne que tous
les contextes ne sont pas équivalents : lorsque des contre-pouvoirs sont en
place, le recul de l’investissement est moins marqué. C’est notamment le cas
lorsque les systèmes électoraux limitent le pouvoir d’un seul parti, ou lorsque
la justice reste indépendante. Ces variables institutionnelles deviennent alors
des indicateurs utiles pour les entreprises.
Institutions solides,
climat d’investissement plus stable
L’étude identifie trois
types de contre-pouvoirs susceptibles d’atténuer l’impact économique du
populisme :
- Le système électoral
:
c’est la variable la plus déterminante. Dans un système majoritaire, la
victoire d’un parti populiste peut lui conférer un pouvoir très étendu. À
l’inverse, un système proportionnel favorise les coalitions et les compromis,
limitant la portée des réformes unilatérales. Cela rassure les investisseurs,
qui anticipent une plus grande stabilité.
- L’indépendance de la
justice :
elle garantit une certaine prévisibilité des règles économiques. Mais elle peut
être remise en cause. L’étude cite par exemple la Pologne (2015), où le
Tribunal constitutionnel a été affaibli par le parti PiS, ou encore le Mexique
(2024), où le parti Morena a modifié la Constitution pour faire élire les juges
de la Cour suprême.
- La responsabilité de
l’exécutif :
la capacité des gouvernants à rendre des comptes (liberté de la presse, droit à
manifester, justice indépendante, élections régulières) est un autre facteur
analysé. Mais selon l’étude, il s’agit d’un contre-pouvoir plus faible, souvent
contourné par les leaders populistes déterminés à transformer le système.
Populisme durable,
incertitude persistante
Les chercheurs montrent
enfin que la durée de pouvoir d’un leader populiste joue un rôle clé. Plus
celui-ci reste en poste, plus les institutions s’érodent, et moins elles
protègent l’environnement économique des entreprises. « Beaucoup de dirigeants
populistes affaiblissent les institutions de manière progressive et discrète.
Cela accroît l’incertitude, car les changements ne sont ni annoncés, ni clairs,
ni toujours visibles à court terme », précisent les auteurs. Dans ce contexte,
les critères d’investissement évoluent : les entreprises ne peuvent plus se
contenter d’indicateurs économiques classiques (rentabilité, coût du capital,
stabilité fiscale). Elles doivent aussi intégrer des critères politiques, et
notamment l’existence effective de contre-pouvoirs durables.
Enfin, l’étude invite à explorer d'autres pistes : le positionnement idéologique (gauche, droite, conservateur, progressiste) influence-t-il différemment les décisions d’investissement ? Ou bien faut-il considérer que le clivage gauche/droite est dépassé, au profit d’un affrontement entre souverainistes et internationalistes ? Autant de dimensions qui, à l’avenir, pourraient enrichir les stratégies des entreprises dans un monde politique de plus en plus polarisé.


