Par Agnès Weil, mandataire Expertimo à Paris.
Alors que l’État cherche désespérément à équilibrer ses comptes, la cession de son patrimoine immobilier reste un chantier à l’arrêt.
L’exemple de l’Hôtel Mezzara, bijou Art
nouveau resté vacant pendant près de dix ans, révèle les limites d’un système
public inadapté aux règles du marché. Trop lent, trop rigide, sans stratégie
claire, l’État peine à valoriser ses actifs, même les plus emblématiques. Une
inertie coûteuse à l’heure des urgences budgétaires.
L’exemple de l’Hôtel
Mezzara, révélateur d’un immobilisme patrimonial
Alors que les arbitrages budgétaires s’annoncent brutaux, que l’on murmure à Bercy l’hypothèse d’une année blanche sur certaines dépenses sociales, une évidence saute aux yeux : la France est assise sur un trésor, mais incapable d’en tirer parti.
Avec près de 74 milliards d’euros d’actifs immobiliers, l’État pourrait
alléger ses comptes. Pourtant, il vend mal, peu, ou trop tard. L’histoire de
l’Hôtel Mezzara, dans le 16e arrondissement de Paris, en est l’illustration
flagrante.
Sept ans d’errance pour
un bijou classé
Construit par Hector Guimard en 1910, joyau de l’Art nouveau situé rue La Fontaine, l’Hôtel Mezzara appartient à l’État depuis 1956. Après le départ des internes du lycée Jean-Zay en 2015, le bâtiment reste vacant. Premières tentatives de vente en 2018 : échec.
Appels à projets : sans suite. Le bien se dégrade, sa valeur s’érode. Ce
n’est qu’en 2024 qu’une solution est trouvée… non pas par l’État, mais par un
investisseur privé. Un bail emphytéotique de 80 ans permettra enfin de redonner
vie à l’hôtel particulier, bientôt transformé en musée Guimard, grâce à
l’initiative de Fabien Choné et de l’association Le Cercle Guimard.
« Ce n’est pas un
problème d’offre. C’est un problème de méthode, d’angle d’attaque, de narration
du bien »,
souligne Agnès Weil, mandataire Expertimo à Paris.
Un État qui vend à
contretemps
Le cas Mezzara n’est
pas isolé. En 2024, les ventes du parc immobilier de l’État ont atteint un
plancher historique : 549 cessions seulement, pour 222 M€ de recettes, loin des
500 M€ atteints quelques années plus tôt. L’appareil administratif semble inadapté
aux exigences d’un marché devenu plus rapide, plus segmenté, plus exigeant.
« L’État n’est pas un
opérateur immobilier. Et il persiste à ignorer les logiques du marché, surtout
sur les biens atypiques », poursuit Agnès Weil.
Les maux d’un système
grippé
• Des biens complexes à céder : monuments classés,
vétusté, prescriptions des ABF… autant d’obstacles qui nécessitent expertise,
pédagogie, et accompagnement.
• Une vision de marché décalée : vendre un hôtel
particulier dans le Sud du 16e arrondissement comme un actif de luxe, sans
valoriser l’environnement autour de Guimard, est une erreur stratégique.
• Procédures trop rigides : appels d’offres mal
calibrés, conditions restrictives… L’innovation privée est souvent écartée
d’office.
• Absence de stratégie commerciale : sans positionnement
clair, sans relais spécialisés, l’État ne parvient ni à séduire les bons
acheteurs ni à raconter le potentiel des lieux.
Le sursaut viendra-t-il
du privé ?
C’est un paradoxe cruel
: les
projets aboutissent uniquement quand l’État délègue. Mais cette délégation
n’est ni structurée, ni anticipée. Le succès du musée Guimard n’est pas le
fruit d’une politique publique, mais d’un sauvetage opportun. L’exception
privée devient la règle… faute d’une vision claire.
« Tant qu’on confondra
gestion patrimoniale et inertie administrative, ces joyaux resteront à
l’abandon »,
conclut Agnès Weil.
Une urgence budgétaire,
une opportunité manquée
À l’heure où l’État
cherche à rationaliser ses dépenses, il est temps de professionnaliser la
gestion de son patrimoine. Cela suppose une chose simple : faire appel à ceux
dont c’est le métier. Les professionnels du conseil, de la vente haut de gamme,
de l’ingénierie immobilière ont les outils, les réseaux, et surtout les récits
adaptés pour faire d’un bien dormant un actif vivant.
Malheureusement l’Hôtel Mezzara n’est pas un cas isolé et d’autres hôtels particuliers, propriétés de l’État peinent à trouver preneur, perdus dans l’infinie liste d’annonces des biens en cession.
Ainsi, situé dans le centre historique de Senlis (60), un hôtel particulier d’une surface de 1041 m² (sous-sol et R+1) sur une parcelle de 1 464 m², a longtemps été à la vente sur le site de l’État sans succès malgré son cadre patrimonial à fort potentiel pour un projet haut de gamme. Idem pour cet ancien hôtel particulier à Tourcoing (59) mettant en avant une structure bien préservée avec ses jardins, des espaces de bureaux et salles de réception répartis sur quatre niveaux.


