Par Emilie Meridjen,
associée en droit social au sein du cabinet Sekri Valentin Zerrouk
Le travail : une
souffrance ?
Le rapport des Français
au travail subit une véritable révolution ces dernières années. Sous l’effet
des réseaux sociaux, de la place de l’intime au travail beaucoup plus présent,
des conséquences du covid avec l’instauration du télétravail…, certains salariés
voient et vivent le travail de plus en plus comme une souffrance. En dehors des
salariés qui ont trouvé un emploi passion, de plus en plus de français
désacralisent la valeur travail sur l’autel des loisirs et des vacances.
Une étude récente de
Datascope Axa indiquait que 45% des salariés français se disent en détresse
psychologique, 31% se disent concernés par le burn out, et les troubles
psychologiques seraient la première cause des arrêts de travail longs en 2024.
Selon les données EPi-phare, un quart des Français consomme des
antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques ou autres médicaments psychotropes,
et
9% des Français selon Ipsos, ont envisagé en 2023 le suicide ou
l’automutilation.
Bien évidemment il
existe des cas de souffrance au travail justifiés par des environnements
toxiques, des managers incompétents ou pas assez formés. Mais il arrive aussi
que des maladies psychiques proviennent d’un contexte personnel, qui par
essence est mal connu voire ignoré par l’employeur. De ce fait, la
responsabilité de l’entreprise est de plus en plus engagée au-delà de ce que le
législateur avait prévu et bien au-delà du temps et du lieu du travail.
Les maladies psychiques :
une mode profitable ?
Au-delà des véritables
souffrances légitimes qui doivent être prises en compte et accompagnées, se
cachent de plus en plus des tactiques opportunistes pour masquer une
insuffisance professionnelle ou un désengagement, voire négocier une indemnité
de départ substantielle. Certains salariés prennent par exemple prétexte de
simples critiques, bien que factuelles et respectueuses, lors d’un entretien
hiérarchique pour solliciter la reconnaissance d’une maladie professionnelle
psychique, médicalement bien plus difficile à objectiver que les accidents
physiques au travail !
Les chiffres officiels
montrent bien la croissance de ces maladies psychiques, qui impliquent des
certificats établis par des médecins généralistes ou spécialistes. Ainsi le
nombre de maladies professionnelles liées à des affections psychiques reconnues
par les CPAM a été multiplié par 2 depuis 2019 et a progressé de 15% entre 2022
et 2023. En parallèle les tribunaux voient les dossiers se multiplier, la
jurisprudence étant à ce jour peu lisible et en tout état de cause le reflet
des sensibilités diverses des juges.
Prévention et action
L’employeur ne peut
plus faire l’économie d’actions concrètes et relayées à tous les échelons de
l’entreprise visant à prendre soin de la santé mentale de ses salariés.
On peut notamment citer
la clarification des missions et des circuits de décisions, la prise en compte
de l’IA dans les descriptions de fonctions, la cohérence entre la charge de
travail des salariés et le temps disponible, la mise en place de cellule d’écoute
psychologique, etc.
Par ailleurs, les
managers, devenus de véritables RH de proximité, doivent être sensibilisés aux
conséquences de leurs actions – ou non actions – managériales et être formés…
au management.
Au-delà de cette obligation de prévention, sans doute est-il nécessaire aujourd’hui de repenser le rapport au travail et les interactions professionnelles. Un monde sans travail ou sans collègues n’étant pas envisageable pour la plupart d’entre nous, intégrer la nature par essence contraignante d’une activité professionnelle et de l’autorité hiérarchique, et rappeler les valeurs de respect et d’humanité au travail semblent être les premières pierres du travail de demain.