La Bourse est un
lieu d’échange de capitaux. Mais depuis quelques années s’y joue également la
crédibilité environnementale et sociale des entreprises.
Amaury Vanoye, associé
membre affilié Walter Allinial, explique ici pourquoi la transparence
extra-financière devient un levier de performance.
Avec la montée en
puissance des critères ESG, les sociétés
cotées sont désormais soumises à des exigences de transparence importantes.
Même si les seuils d’application ont été relevés et certains calendriers
reportés, la pression des investisseurs, des régulateurs et de l’opinion
publique pousse les entreprises à s’engager toujours plus dans la durabilité.
En quoi la Bourse agit-elle comme un catalyseur des actions environnementales ?
Comment les sociétés cotées transforment-elles cette contrainte en opportunité
?
> CSRD et Bourse :
des exigences différenciées entre entreprises cotées et non cotées
Initialement, la CSRD devait s’appliquer à près de 50 000 entreprises européennes, y compris les PME cotées, avec des seuils relativement bas (250 salariés, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ou
20 millions d’euros de bilan). Cependant, la directive Omnibus de février 2025 a relevé ces seuils à
1 000 salariés et 50 millions
d’euros de chiffre d’affaires, repoussant l’échéance pour de nombreuses
sociétés non cotées. En revanche, les entreprises cotées sur des marchés
réglementés (Euronext, etc.) restent soumises à la CSRD dès 2025, avec une
obligation de publier un rapport de durabilité audité et basé sur le principe
de double matérialité (impact de l’entreprise sur l’environnement et de
l’environnement sur l’entreprise).
Les sociétés cotées
doivent en conséquence communiquer de manière mesurable, précise et publique
sur leurs performances extra-financières, sous peine de perdre la confiance des
investisseurs. Incitées, voire contraintes, par cette réglementation, les entreprises
du CAC 40 publient désormais des rapports de durabilité détaillés, alignés sur
les normes internationales (ESRS, GRI). Cette obligation a eu des conséquences
sur les pratiques de certains professionnels, dont les commissaires aux
comptes, qui se sont formés pour renforcer la crédibilité de leurs rapports et
ainsi pouvoir jouer un rôle clé dans la certification de ces données.
> L’attractivité
boursière, moteur de l’engagement environnemental
Pour les dirigeants des
sociétés cotées, la communication extra-financière n’est plus une option, mais
une nécessité stratégique. Les investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou
particuliers, intègrent de plus en plus les critères ESG dans leurs décisions.
Une étude récente montre que les annonces ESG positives peuvent influencer
positivement le cours de bourse, tandis que les scandales environnementaux ou
sociaux entraînent des désinvestissements massifs.
Dans la pratique, les
entreprises cotées doivent désormais analyser leurs impacts environnementaux et
sociaux (matérialité « inside-out ») et évaluer comment ces enjeux affectent
leur performance financière (matérialité « outside-in »). Cette approche, au
cœur de la CSRD, permet d’identifier des risques et des opportunités inédites,
et de renforcer la résilience de l’entreprise.
Pour répondre à ces
attentes, les sociétés cotées investissent dans des outils de reporting
avancés, des audits externes, et de réelles stratégies de décarbonation. Elles
communiquent ainsi une image vertueuse, attractive pour les nouveaux
actionnaires et les talents en quête de sens.
De nombreux dirigeants
de sociétés cotées se sont peu à peu appropriés les exigences de la CSRD, et
certains d’entre eux sont même devenus des pionniers en matière de RSE. Selon
Amaury Vanoye : « Les dirigeants ont de vraies convictions. En étudiant les principes
de double matérialité, nombreux sont ceux qui ont admis avoir découvert des
éléments de réflexion auxquels ils n’avaient pas pensé, ou qu’ils avaient
sous-estimés ». Cela les a fait réfléchir sur l’aspect « Social » de l’ESG :
comment les employés se ressentent en adéquation avec le projet de leur
entreprise ? Quels peuvent être les arguments pour attirer les talents ?
Il en est de même pour
le « G » de l’ESG : comment s’organise la gouvernance pour mettre en place des
améliorations environnementales et sociales au sein de l’entreprise ?
C’est également pour
eux une manière vertueuse de se différencier, d’attirer des capitaux « verts »
et de fidéliser leurs parties prenantes. La plupart ont intégré le fait que si
la durabilité a un coût, elle constitue aussi un levier de création de valeur à
long terme.
> Un effet
d’entraînement sur l’ensemble de l’économie
Même si les seuils de
la CSRD ont été relevés, l’effet de la Bourse dépasse le cercle des entreprises
cotées. Les fonds d’investissement, les banques et les assureurs intègrent
désormais des critères ESG stricts dans leurs politiques de financement. Une société
non cotée, si elle veut accéder à des capitaux ou entrer dans la chaîne de
valeur d’un grand groupe, doit, elle aussi, adopter des pratiques durables.
La dynamique est lancée
: les PME, même non soumises à la CSRD, sont de plus en plus nombreuses à
adopter volontairement des standards simplifiés, telle la norme VSME (Voluntary
Sustainability Reporting Standard, un cadre volontaire destiné à aider les PME
à structurer leur reporting de durabilité) pour rester compétitives.
Pour Amaury Vanoye, le report, voire l’annulation de la CSRD pour une grande partie des entreprises sont extrêmement négatifs et regrettables. Toutefois, il est convaincu que la Bourse, par sa nature publique et transparente, accélère la transition environnementale des entreprises : « Les sociétés cotées, soumises à des exigences réglementaires et à la pression des marchés, deviennent des modèles de durabilité. Leur engagement, mesurable et audité, influence l’ensemble de l’économie, poussant même les entreprises non cotées à s’aligner sur ces standards. Si le report de la CSRD pour certaines entreprises peut sembler un recul, la dynamique est irréversible : la transparence extra-financière est désormais un critère incontournable de performance et d’attractivité. »


