Face à l'empreinte carbone croissante du numérique et aux promesses de ses technologies pour la transition écologique, l'ADEME a lancé, à la demande des Ministères en charge de l’écologie et du Numérique, l'étude « IT4Green » pour évaluer objectivement les impacts environnementaux nets de ces solutions.
L’ADEME publie, à l’occasion du
Green Tech Forum, les conclusions de la deuxième phase de l'étude, qui analyse
cinq cas d'usage dans les secteurs de l'énergie, la mobilité, la ville et
l'agriculture. Les résultats, plutôt positifs, appellent toutefois à la
prudence, notamment en raison des effets rebonds potentiels, et à une approche
sobre de la numérisation.
Des gains
environnementaux réels mais modestes face aux objectifs nationaux
Les solutions
numériques peuvent contribuer à réduire certains impacts environnementaux, mais
ces bénéfices ne sont ni automatiquement garantis ni généralisables : ils
dépendent des contextes d’usage, des choix de conception et des pratiques
d’accompagnement. Une approche au cas par cas reste donc indispensable.
Les bénéfices
environnementaux du numérique sont présents dans les 5 cas analysés mais
limités et fragiles.
L'« effet rebond » - qui se produit lorsque l'économie réalisée par une
solution numérique (temps, carburant, argent) incite les acteurs à consommer
davantage - peut annuler le gain initial, voire le transformer en surcoût
environnemental :
1/ Concernant le
télétravail, l'étude
révèle un bilan net favorable, principalement dû à la réduction des trajets
domicile-travail et à la limitation de l'utilisation de ressources fossiles.
Cependant, ses bénéfices climatiques sont jugés modestes par rapport aux
objectifs globaux de transition écologique. En effet, l'adoption massive du
télétravail ne contribuerait qu'à hauteur de 2 à 4% aux efforts de
décarbonation du secteur des voitures particulières, et ce gain est amené à
s'atténuer avec l'électrification du parc automobile. De plus, le télétravail
génère des coûts environnementaux, notamment une hausse de la consommation
d'énergie au domicile et un impact négatif sur l’épuisement des ressources en
métaux et minéraux (ADPe) lié aux équipements informatiques supplémentaires. Il
reste donc un levier d'appoint.
2/ Dans le secteur de la
mobilité,
l'étude sur la gestion optimisée des pneus par abonnement montre qu'elle permet
d'éviter l'émission de 1,6 million de tonnes de CO2 sur une période de 13 ans.
Toutefois, ce bilan est extrêmement sensible à l'effet rebond. Une augmentation
d'à peine 1% des kilomètres parcourus par les transporteurs, induite par
l'économie de carburant, suffirait à annuler complètement ce gain
environnemental, créant même un surcoût de 177 000 tonnes de CO2. Pour autant,
il est possible que la transformation du modèle économique d’un modèle de vente
de produits vers un modèle de vente de services (principe de l’« Economie de la
fonctionnalité ») permette d’atténuer les effets rebonds.
3/ En milieu urbain, le cas de
l'optimisation de l’éclairage public met en évidence que la solution numérique
la plus simple et sans connectivité (low-tech) est plus performante sur le plan
environnemental que la solution connectée plus complexe. La complexité de la
solution connectée introduit un risque d'effets rebonds, tels que le
déploiement de nouveaux services « smart city » énergivores, qui peuvent
inverser un bilan initialement positif.
4/ Pour le secteur de
l'énergie,
l'optimisation des lignes électriques à haute tension (DLR) est positive pour
le climat, permettant d'éviter 43 912 tonnes de CO2 sur 16 ans et de mieux
valoriser l’énergie renouvelable. Néanmoins, cette réduction ne représente que
0,36% de l'effort total de décarbonation demandé au secteur de l'électricité
d'ici 2030. Par ailleurs, cette solution engendre également des dommages
environnementaux supplémentaires sur l'indicateur d'épuisement des ressources
en métaux et minéraux, en raison du besoin en capteurs et équipements
électroniques.
5/ Enfin, dans le secteur
agricole,
la solution d'optimisation des engrais azotés est reconnue comme utile,
notamment pour la gestion des sols hétérogènes. Cependant, le numérique seul ne
suffit pas à atteindre les objectifs de décarbonation de l'exploitation
agricole. L'étude signale aussi un risque de verrouillage technologique lié à
cette solution, qui pourrait limiter l'adoption d'autres pratiques plus
fondamentales, comme l'agriculture biologique.
Les risques des
solutions numériques pour l’environnement : dépendance et effet rebond
L'étude révèle des
points de vigilance à presque toutes les solutions numériques analysées, qui
peuvent fortement fragiliser, voire annuler, les bénéfices environnementaux
initiaux :
Le premier risque
majeur est l'augmentation de la dépendance aux ressources en métaux et
minéraux.
Même lorsqu'une solution aide à réduire l'empreinte carbone, elle augmente la
dépendance à des matières premières critiques souvent importées, un coût
systémique de la numérisation. Par exemple, le télétravail et l'optimisation du
réseau électrique (DLR) engendrent tous deux des dommages environnementaux
supplémentaires sur cet indicateur, en raison du besoin en équipements
électroniques et capteurs.
Le second risque le
plus critique est l'effet rebond, qui peut transformer un gain en surcoût
environnemental.
Ces effets rebonds sont particulièrement difficiles à quantifier mais parmi les
cas étudiés, le cas le plus frappant est celui de la Gestion des pneus par
abonnement : bien que la solution, si on considère son déploiement par un
pneumaticien, évite 1,6 million de tonnes de CO2 sur 13 ans d’utilisation, une
augmentation de seulement 1% des kilomètres parcourus par les transporteurs
annule complètement ce bénéfice. De même, pour l'Éclairage public connecté, la
prise en compte des effets rebonds indirects (réallocation des gains financiers
de la ville) et d'induction (déploiement de nouveaux services "smart
city" énergivores) peut inverser un bilan initialement positif en un coût
environnemental net pour le climat. Il est important de souligner que la
quantification de cet effet rebond est particulièrement complexe. Dans le cadre
de l'étude « IT4Green », l'approche adoptée a été très conservative, faute de
données disponibles permettant une quantification exhaustive. Ainsi, très peu
d'effets rebonds ont été intégralement quantifiés, ce qui signifie qu'en
réalité, les impacts environnementaux nets évités par ces solutions numériques
sont probablement encore plus faibles que ceux présentés.
Commentaire d’Erwann
Fangeat, Coordination technique de l'étude à l'ADEME : « Cette étude nous
oblige à dépasser le mythe d'une unique solution numérique miracle. Le
numérique peut être un allié, à condition de le piloter avec sobriété,
d'anticiper ses potentiels effets néfastes comme le rebond, et de l'inscrire
dans une stratégie de transition globale, plutôt que de le voir comme un unique
levier d'optimisation. Se contenter de ce seul levier serait une erreur ;
l'urgence est d'investir dans des efforts de décarbonation et d’économies de
ressources bien plus profonds. Il s'agit de choisir le juste niveau de
technologie au service d'un besoin réel, et non l'inverse. »
_________________________________
Et la pertinence de
solutions d’intelligence artificielle générative pour la transition écologique
?
Alors que
l'Intelligence Artificielle générative est au centre de l'actualité, elle n'a
pas fait l'objet d'un cas d'usage dans le cadre de cette phase de l'étude «
IT4Green ». Cette absence s'explique par deux facteurs principaux.
Premièrement, l'étude s'appuie sur une méthodologie d'Analyse du Cycle de Vie
(ACV) rigoureuse qui exige des données solides et un recul suffisant. L'IA
générative est une technologie très récente, et son déploiement ainsi que son
impact sont encore trop neufs pour disposer de la quantité et de la robustesse
des données nécessaires à une évaluation environnementale objective et
complète.
Deuxièmement, l'étude vise à évaluer des solutions numériques au
service de la transition écologique (le « IT4Green »). À ce jour, il existe très
peu de cas d'usage d'IA générative visant directement des réductions d'impact
environnemental directes et significatives qui pourraient être mesurées et
attribuées avec certitude à la solution numérique. L'étude se concentre donc
prioritairement sur les leviers numériques ayant démontré une promesse d'impact
positif mesurable sur le terrain.


