Par Thibaut
Antoine-Pollet*, expert en premiers secours et protection cardiaque et Président
de Locacoeur
On l’a tous entendu au
moins une fois : « Un verre de vin rouge par jour, c’est bon pour le cœur ».
Une phrase répétée comme une vérité absolue, souvent autour d’une table,
rarement dans un hôpital. Et pourtant, cette croyance populaire, solidement
enracinée dans notre culture, ne repose sur aucune preuve scientifique solide.
Pire encore, elle détourne l’attention des véritables enjeux de santé publique.
Une idée qui a traversé
les siècles
Tout commence en 1866.
À la demande de Napoléon III, inquiet de l’état des vignobles français, Louis
Pasteur publie ses Études sur le vin. Il y affirme que le vin français peut
être considéré comme « la plus saine, la plus hygiénique des boissons ». À une
époque où l’eau était encore source de maladies, cette déclaration fait sens.
Mais elle va aussi poser les bases d’un mythe durable, celui d’un vin
médicament.
Les décennies suivantes
verront défiler un cortège de justifications scientifiques, politiques et
culturelles. En 1939, le député-pharmacien Édouard Barthe fonde « l’Œuvre du
vin chaud du soldat » et recommande aux troupes un litre de vin par jour.
En 1982, le fameux French Paradox entre en scène.
Le “French Paradox” ou
l’art d’emballer un doute
Tout part d’une étude
menée par des chercheurs de l’INSERM. Elle constate que dans le sud-ouest de la
France, les taux de maladies cardiovasculaires sont particulièrement bas,
malgré une alimentation riche en graisses. Les chercheurs évoquent alors une corrélation
possible avec la consommation régulière de vin rouge et les polyphénols qu’il
contient.
Il n’en fallait pas
plus. Médias, industriels et politiques s’emparent de cette hypothèse (jamais
confirmée), et transforment un soupçon scientifique en vérité universelle. Le
vin devient le bouclier anti-infarctus. Le mythe est né… et continue de prospérer,
alimenté par des dizaines d’études financées par l’industrie du vin et des
spiritueux.
Une imposture qui
arrange tout le monde
L’alcool est un poison.
À petites doses, ses effets sont simplement plus subtils. Mais les faits sont
là : aucun alcool, qu’il s’agisse de vin, de bière ou de whisky, n’est bon pour
la santé cardiovasculaire. Les bénéfices supposés du vin rouge ne résistent pas
à l’analyse sérieuse. Et pourtant, la croyance demeure.
Pourquoi ? Parce que le vin, en France, n’est pas seulement une boisson : c’est un symbole, une culture, un lobby économique de plusieurs milliards d’euros. Même les ministres de la Santé s’y heurtent.
En 2018, Agnès Buzyn ose rappeler sur un plateau télé
que le vin est un alcool comme un autre. Quelques jours plus tard, Emmanuel
Macron lui répond depuis le Salon de l’agriculture : « Je bois du vin midi
et soir, et ce n’est pas un fléau ».
Pendant ce temps-là…
En 2019, les pouvoirs
publics ont consacré 4 millions d’euros à la lutte contre l’alcoolisme.
L’industrie, elle, a investi 45 millions d’euros dans la publicité. Le combat
est inégal. Et sur le terrain, des millions de Français restent convaincus que
leur petit verre quotidien est une habitude de santé.
Mais dans une époque où
l’arrêt cardiaque tue 50 000 personnes chaque année en France, où 60% des
défibrillateurs publics ne sont pas correctement entretenus, et où l’obésité et
la sédentarité explosent, le moment est venu de faire preuve de lucidité.
Non, le vin n’est pas
un médicament. Et il est temps d’en finir avec ce conte bien arrosé.
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* Thibaut Antoine Pollet est un entrepreneur
engagé dans la prévention des arrêts cardiaques et la sécurisation des espaces
publics et privés. Après avoir mené une carrière dans de grandes institutions
bancaires aux États-Unis, il décide en 2017 de reprendre Locacoeur, à la suite
d’un événement personnel qui bouleverse sa vision des enjeux liés à l'urgence
vitale.


