La Banque Transatlantique et le CerPhi, Centre d’Etude et de Recherche sur la Philanthropie, publient leur premier Panorama de la Philanthropie, une analyse comparée inédite des comportements philanthropiques en France et aux États-Unis. Les résultats montrent deux visions culturelles profondément implantées, aussi différentes que complémentaires.
« Tandis que la philanthropie américaine se caractérise par une tradition affirmée du « give back », où donner est valorisé socialement et constitue souvent un marqueur de réussite, la philanthropie française demeure plus discrète, ancrée dans une culture républicaine où l’État reste le principal garant de l’intérêt général, et où le don est vécu comme un acte très personnel analyse Aurélia de Garsignies, Directrice de la Philanthropie de la Banque Transatlantique. Notre étude montre notamment qu’en France, l’envie d’agir n’a jamais été aussi forte, portée par une nouvelle génération de donateurs ambitieux dans leur engagement, ainsi que par le dynamisme d’une économie du don qui s’est largement structurée ».
Des écarts impressionnants, une réalité plus
nuancée
L’un des constats marquants de
l’étude est la nette distinction entre la générosité de la population
générale et celle des foyers les plus aisés.
En valeur absolue, l’écart est frappant : 557 milliards de dollars versés aux États-Unis en 2023(1), contre 9,2 milliards d’euros en France en 2022(2). Ce rapport de 1 à 60 est à relativiser compte tenu de la taille des économies : rapportée au PIB, la philanthropie pèse 2,01 % aux États-Unis contre 0,30 % en France. Cette différence, bien réelle, traduit le rôle beaucoup plus structurant de la philanthropie outre-Atlantique, où elle complète l’intervention publique.
Parmi les élites économiques, si les montants moyens restent sans commune mesure (un foyer français assujetti à l’Impôt sur la Fortune Immobilière donne en moyenne 6 166 € par an (5), contre 34 917 $ pour un foyer américain financièrement comparable(6)), l’implication des catégories fortunées est tout aussi réelle des deux côtés : En 2023, 81 % des foyers français à très hauts revenus ont fait des dons(3), contre 85 % des « HNWI » (High Net Worth Individuals) américains(4) – des niveaux d’engagement quasiment comparables.
L’étude note que l’écart persistant en termes de montants parmi les donateurs les plus fortunés de part et d’autre de l’Atlantique résulte également de dispositifs fiscaux qui encouragent différemment le don : aux États-Unis, les dons sont déductibles du revenu imposable (un avantage proportionnel au niveau d’imposition, avantageux pour les plus aisés), tandis qu’en France les donateurs bénéficient de réductions d’impôts identiques, quel que soit leur niveau d’imposition. Ce dispositif fiscal français a par ailleurs contribué à l’essor récent de la philanthropie privée dans l’Hexagone.
Il faut également noter que l’engagement ne se mesure pas qu’en argent : 55 % des Français fortunés pratiquent le bénévolat(7), contre seulement 37 % de leurs homologues américains(8) , signe que l’implication passe aussi par le temps consacré aux causes.
Ces données nuancent l’opposition classique d’une Amérique généreuse face à une France en retrait : la dynamique d’engagement existe bel et bien en France, mais est concentrée sur certains segments et souvent moins visible médiatiquement.
Entreprises et fondations : les spécificités
du modèle français
L’un des enseignements marquants
de l’étude concerne le rôle des entreprises. En 2022, le mécénat
d’entreprise a représenté 42 % du montant total des dons déclarés en France(9),
contre seulement 6 % aux États-Unis(10). Ce poids insoupçonné du secteur privé
français s’explique par des attentes sociétales fortes envers les entreprises,
perçues comme des acteurs légitimes pour financer des causes d’intérêt général.
Les dirigeants sont incités à faire de leur entreprise un vecteur d’engagement sociétal et citoyen, qui peut s’exprimer via le mécénat. C’est ainsi que, en France, le monde entrepreneurial est devenu un pilier de la philanthropie(16), là où la culture américaine privilégie davantage les fortunes individuelles et leurs fondations familiales.
Parallèlement, la France rattrape progressivement son retard dans le domaine des fondations. Le nombre de fondations et fonds de dotation croît à un rythme soutenu (+4,8 % par an ces dernières années)(11), contre seulement +0,6 % aux États-Unis(12). Certes, le volume total reste sans commune mesure (environ 5 600 fondations actives en France contre plus de 100 000 aux États-Unis), mais la tendance est à la structuration et à la professionnalisation du secteur philanthropique français.
Autre indicateur révélateur : Les libéralités (legs, donations et assurances-vie) constituent désormais 13,8 % des financements privés des causes d’intérêt général en France(13), contre 7,7 % pour les legs aux États-Unis(14). Longtemps sous-estimés dans le débat public, ces dons témoignent d’un engagement profondément ancré, motivé par la transmission et l’attachement territorial ou mémoriel. Ils illustrent aussi le rôle croissant des fondations et organismes habilités à recevoir ces libéralités dans un paysage philanthropique en structuration rapide. En complément de l’étude, rappelons que la France dispose de leviers patrimoniaux spécifiques (don de titres avant cession, donation temporaire d’usufruit, legs avec charge) qui, bien structurés, peuvent amplifier l’impact des projets philanthropiques.
Nouveaux philanthropes, nouvelles ambitions
Au-delà des différences
nationales, l’étude souligne une dynamique commune aux deux pays : la
philanthropie entre dans une nouvelle ère, à la fois plus ambitieuse et plus
exigeante.
Les donateurs, qu’ils soient français ou américains, veulent désormais s’attaquer aux causes profondes dans une approche systémique plutôt que de financer uniquement des actions réparatrices. Ils attendent des preuves concrètes de l’impact de leur engagement et s’organisent en conséquence : les projets s’inscrivent davantage dans le long terme, la collaboration entre acteurs se renforce, et le secteur se professionnalise pour répondre à ce besoin de résultats mesurables.
Cette évolution est portée en grande partie par la relève générationnelle. Les nouvelles générations – X, Y, Z – aspirent à des formes d’engagement plus incarnées et innovantes, souvent à mi-chemin entre l’entrepreneuriat et l’action à but non lucratif. On assiste ainsi à un net rajeunissement du profil des philanthropes. Selon le Baromètre 2025 de la Fondation de France, la proportion des créateurs de structures philanthropiques de moins de 35 ans a doublé, passant de 5 % à 10 % entre 2001 et 2022. Là où les plus de 65 ans représentaient la moitié des fondateurs au début des années 2000, ils n’en constituent plus qu’un tiers aujourd’hui(15). Les jeunes générations veulent agir plus tôt, avec plus d’impact, et parfois en dehors des modèles classiques (fondations personnelles, mécénat traditionnel…), quitte à inventer de nouveaux outils d’engagement. Il en ressort une philanthropie plus horizontale et ouverte, mais aussi plus difficile à structurer tant les initiatives foisonnent.
Enfin, cette philanthropie « nouvelle génération » suscite une attention croissante de l’opinion publique envers la transparence et la cohérence des engagements. En France comme aux États-Unis, cette exigence favorise une philanthropie plus ouverte, alignée avec les attentes sociétales et complémentaire de l’action publique.
En France comme aux États-Unis, la philanthropie s’impose désormais comme un laboratoire d’innovations au service de l’intérêt général, témoignant d’une volonté de transformer durablement le monde, de façon concrète et mesurable.
Méthodologie
L’étude « Panorama de la
Philanthropie Banque Transatlantique / CerPhi » a été réalisée entre le 4 mars
et le 22 avril 2025 à partir des principaux indicateurs économiques publiés en
France et aux Etats-Unis, identifiés, analysés et retraités par le CerPhi,
ainsi que 7 entretiens individuels menés entre le 21 mars et le 4 avril 2025,
auprès d’un échantillon d’experts du secteur.
Le terme « philanthropie » peut être entendu de manières différentes. Le sens retenu pour le « Panorama de la philanthropie Banque Transatlantique / CerPhi » prend en compte toutes les formes de générosité et de ressources collectées, dans une vision élargie de l’engagement privé au service de l’intérêt général.
NB : pour les données comparées, les calculs ont été faits sur la base d’une hypothèse de quasi parité monétaire :1$ ≈ 1€.
Principales sources
France :
(2)
(5) (9) (13) : Panorama national des générosités 2024, 3 ème édition décembre
2024 / France générosités – Observatoire Philanthropie & Société de la
Fondation de France
(3) (7) : Baromètre de la solidarité – 5ème édition mars 2024 / Fondation
Apprentis d’Auteuil – Ipsos (11) : Baromètre de la Philanthropie 2024 –
Observatoire Philanthropie & Société de la Fondation de France (15) :
Baromètre de la Philanthropie 2025 – Observatoire Philanthropie & Société
de la Fondation de France
(16) : A titre d’illustration, Crédit Mutuel Alliance Fédérale a adopté en 2023
le principe du « dividende sociétal », qui consacre 15 % de son résultat net au
financement de projets d’intérêt général et se traduit notamment par un
engagement annuel en mécénat de l’ordre de cent millions d’euros
(1) (10) (14) :
Giving USA 2024 / The Giving Institute -Indiana University Lilly Family School
of Philanthropy & Bank of America (4) (6) (8) : The 2023 Bank of America
Study of Philanthropy : Charitable Giving by Affluent Households / Indiana
University Lilly Family School of Philanthropy & Bank of America
(12) : Domestic-private-foundation-and-charitable-trust-statistics / Internal
Revenue Service (IRS)
NB : pour les données comparées, les calculs ont été faits sur la base d’une hypothèse de quasi parité monétaire :1$ ≈ 1€.


