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[Tribune] Assurance et catastrophes naturelles : un nouveau modèle à inventer

Par Patrick Soulignac, Principal Solution Consultant chez Guidewire, éditeur de logiciels de et solutions Cloud pour l'assurance.  


Les assureurs parlent à juste titre du sinistre comme d’un “moment de vérité” pour leurs assurés, celui où la promesse de solidarité face à un coup dur se réalise. A l’échelle des sociétés d’assurance, ce sont les catastrophes et les événements de grande ampleur qui jouent ce rôle de révélateur, de moment de vérité collectif. Ces temps de stress en ressources tant humaines que financières testent la capacité de l’organisation à s’adapter et à absorber un choc.

 

Or ces catastrophes naturelles ou technologiques sont de plus en plus fréquentes et intenses. Les risques climatiques et leur impact sur les personnes et les biens n’en finissent plus de faire parler d’eux : inondations, orages, grêles…

 

Les facteurs humains et technologiques ont également un impact croissant sur la résilience des entreprises assurées, du fait des interdépendances fortes au sein de l’économie mondiale. La fragilité des chaînes d’approvisionnement (blocage du canal de Suez, effondrement d’un pont à Baltimore, bug Crowdstrike…) ou de la continuité des activités en cas d’incident technique (virus informatique, cybercriminalité) rendent l’assurance essentielle, mais aussi les risques moins prévisibles.

 

Cette hausse de la sinistralité des évènements catastrophiques pose au secteur de l’assurance deux défis, jusque dans ses fondamentaux : l’assurabilité des risques et la gestion opérationnelle des sinistres.

 

Redéfinir la gestion des risques

 

Selon les réassureurs comme Munich Re ou Swiss Re, les pertes enregistrées en 2023 dans le monde par les assureurs et imputées aux catastrophes naturelles sont sans précédent. L’impact tarifaire sur les coûts de réassurance est significatif, et cette tendance semble malheureusement pérenne - alimentée par le dérèglement climatique.

 

La question de l’assurabilité a cessé d’être taboue : en Californie comme dans le Nord de la France, certaines zones géographiques sensibles pourraient ne plus être assurables à moyen terme. Le risque cyber a également connu, ces dernières années, un choc d’assurabilité, avec des retraits de capacités financières et des couvertures plus restrictives.

 

Dans cette situation, les assureurs peinent à satisfaire leur besoin de couverture vis-à-vis des réassureurs et voient leur capacité de souscription baisser sensiblement. L’ajustement des surprimes récemment acté sur le régime Cat Nat illustre l’impact macro-économique croissant des évènements climatiques sur le marché français. Ce régime permet de garantir une mutualisation large des risques, et d’éviter que la sélection ne remette en cause la couverture des risques les plus sensibles. Mais la hausse des tarifs ne peut être indéfiniment la seule solution, sans risquer la remise en cause du rôle sociétal de solidarité de l’assurance. Les évolutions haussières et surtout l’apparition de nouveaux phénomènes à modéliser
– tant pour les impacts climatiques que pour les interdépendances technologiques – supposent d’inventer de nouveaux modèles.

 

Dans ces deux domaines, un même enjeu sous-jacent se manifeste : la difficulté à évaluer les risques quand les données historiques ne suffisent plus à anticiper l’avenir.

 

Cette capacité à comprendre les risques souscrits est d’autant plus importante qu’elle est indispensable à la prévention et à la réduction des risques. La mise en œuvre de mesures de sauvegarde adaptées en zone argileuse, par exemple, nécessite une analyse technique de chaque bâtiment pour engager un dialogue constructif avec les assurés, particuliers comme entreprises.

 

De nouvelles analyses géospatiales des risques climatiques se développent ; elles font appel à des données riches et variées (images satellitaires, informations météorologiques, etc.). De même, la collecte et l’exploitation de données de sécurité informatique enrichit les paramètres disponibles à la souscription. Ces évolutions, par nature itératives et fréquentes, rendent nécessaire une amélioration significative des processus de souscriptions.

 

Pour les grands risques, l’éclairage des décisions par les données ne peut se faire sans fournir aux souscripteurs un véritable cockpit de pilotage intégrant les informations et analyses disponibles. Pour les risques de masse, notamment le marché des particuliers, les enjeux de réactualisation fréquente des règles de souscription, de tarification et de démarche prévention mettent sous tension les organisations informatiques, constamment sollicitées pour des évolutions coûteuses en maintenance.

Ainsi, c’est toute la chaîne de gestion des risques, jusque dans ses fonctions supports, qui se trouve mise sous tension à la recherche d’un nouveau modèle viable.

 

Passer du « Business As Usual » au « Catastrophe As Usual »

 

Au-delà des défis financiers, les assureurs font quotidiennement face à des enjeux de gestion opérationnelle. Si les processus établis historiquement sont adéquats pour traiter les sinistres en « régime de croisière », nombre d’assureurs constatent le changement d’échelle nécessaire lors d’évènements de grande ampleur, qui sont de plus en plus fréquents.

 

Les pics d’appels et volumétries de déclaration créent une surcharge de travail récurrente des équipes internes. Celle-ci a des impacts organisationnels, comme le besoin d’interopérabilité et de polyvalence des gestionnaires ; mais également des impacts humains, pouvant aller jusqu’au burn-out, voire à des mouvements sociaux, signe d’une perte de confiance des collaborateurs en la résilience de l’entreprise.

Ces challenges n’épargnent pas non plus les partenaires fournisseurs de services : experts, réparateurs se retrouvent mobilisés au-delà des capacités disponibles localement. Cela peut avoir des conséquences fortes sur les délais d’indemnisation, et sur la satisfaction des assurés et l’image de marque des assureurs.

 

Cette nouvelle exigence de résilience opérationnelle nécessite de concilier deux impératifs distincts : l’optimisation visant à converger vers l’excellence technique, et la gestion de crise demandant de la flexibilité. En effet, chaque évènement de grande ampleur pose des défis spécifiques : accessibilité des zones touchées, manque de ressources expertes, remise en question de la reconstruction à l’identique, etc.

Cela signifie que les assureurs doivent pouvoir anticiper des scénarios nouveaux, et adapter dynamiquement leurs processus de gestion en réaction aux contraintes.

Ce changement de paradigme se manifeste tout particulièrement dans le domaine de l’automatisation. Il ne s’agit plus seulement de systématiser les meilleurs pratiques, mais de donner des leviers de réduction de charge activables « à la demande ».

Les directions de l’indemnisation sont ainsi amenées à embrasser une approche de changement permanent, tout en maintenant un niveau d’efficacité suffisant pour donner aux équipes opérationnelles le temps de l’empathie et de l’accompagnement – tant en interne qu’avec leurs assurés.

 

En passant du statut d’exception à celui d’évènement fréquent, les catastrophes naturelles, appellent à un véritable changement de modèle de l’assurance ; un modèle davantage tourné vers l’innovation par les données et la flexibilité opérationnelle.

 

Si des solutions existent et continuent à se développer à un rythme soutenu, leur appropriation par les organisations nécessite de repenser en profondeur les processus de gestion et les systèmes informatiques qui les soutiennent.

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