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[Tribune] Le programme européen pour l’industrie de défense (EDIP) : l’acte de naissance de La Défense européenne

Lettre d’informations de la délégation française du groupe S&D N°213

 

Jamais, la menace d’un conflit sur le sol européen n’a été aussi grande. Les services de renseignement européens sont unanimes, la Russie prépare une attaque contre un État membre de l’UE avant la fin de la décennie. Vladimir Poutine s’apprête à « tester » la solidarité de l’Alliance Atlantique et nous savons désormais que nous ne pouvons plus compter sur le parapluie américain pour nous protéger. Face à cette nouvelle donne, inédite et dangereuse, il est urgent de sortir l’Europe de son indolence adolescente. La construction d’une défense européenne souveraine est vitale pour la sécurité de nos citoyens et la survie de nos démocraties.

 

Le règlement EDIP (European Defence Industry Programme) dont je suis le co-rapporteur au Parlement est le véritable acte de naissance d’une base industrielle de défense réellement européenne. Et cet acte de naissance est aussi un acte de divorce avec l’industrie américaine.

 

Le principe de ce règlement est simple : sortir des logiques nationales fragmentées, pour construire une base industrielle de défense intégrée où les différentes industries nationales ne sont plus isolées, voire concurrentes, mais complémentaires. Cela nous permettra de rationaliser la production, de réduire les coûts et de produire efficacement les capacités dont nous avons collectivement besoin pour nous protéger. Nous retrouverons le plein contrôle de nos chaines d’approvisionnement et serons en capacité d’accélérer leur cadence en cas de crise. Surtout, les Européens seront réellement indépendants et souverains dans la production et l’utilisation de leurs capacités de défense.

 

Le mois dernier, à l’issue de négociations acharnées, le Parlement européen a adopté un mandat extrêmement fort en vue des négociations avec le Conseil. Les quatre priorités que j’ai défendues se retrouvent désormais dans ce texte, soutenu sans équivoque par le groupe social-démocrate et une large majorité des groupes politiques démocratiques de notre assemblée.

 

Tout d’abord, faire d’EDIP un programme de financements européens pour une production et le développement d’une industrie pleinement européenne. Des fonds européens aideront les États membres à réussir leur transition afin de sortir de notre dépendance aux armes américaines et de se fournir en équipements européens. Nous avons fixé des critères d’éligibilité à ces fonds des plus ambitieux : les composantes européennes doivent représenter 70% du prix du produit final, marges incluses. Ainsi l’argent public européen sera utilisé pour créer de la valeur et des emplois qualifiés ici, dans les industries européennes. Ce programme permettra de booster les productions européennes et d’enclencher un cycle vertueux de commandes conjointes des armées européennes à destination des entreprises du continent. De plus, en utilisant des équipements conçus et produits en Europe, les différentes armées de l’Union retrouveront leur autonomie d’action et ne seront plus soumises aux autorisations d’utilisation américaines.

 

Ensuite, impulser, avec EDIP, un véritable saut fédéral pour la défense européenne. La prise de décisions intergouvernementale a montré ses limites face aux crises de sécurité, et les divisions entre États membres ont affaibli et retardé notre réponse à la guerre en Ukraine. Nous devons donc européaniser la gouvernance de notre politique industrielle de défense commune et donner à la Commission un rôle central, lui permettant de planifier la politique industrielle, en fonction des besoins capacitaires à l’échelle du continent. En parallèle, nous sécurisons les chaines d’approvisionnement européennes afin d’éliminer les points de dépendance et redevenir maître de nos cadences de production. En cas de besoin, l’économie de guerre ne sera plus seulement un discours politique, mais une réalité tangible pour protéger la population européenne.

 

Grâce à EDIP, nous garantissons la prise en compte de la sécurité européenne là où les intérêts économiques ont trop souvent primé. Nous avons fait un choix fort, celui de rendre opérationnelle la clause de défense mutuelle qui nous lit entre partenaires européens, en mettant en œuvre la priorisation européenne. En période de crise, lorsqu’un État membres est agressé, les commandes européennes de produits de défense auront la priorité sur les contrats extra-européens et les besoins militaires primeront sur les besoins civils. Le principe de solidarité industrielle est désormais acté : les intérêts de l’armée polonaise doivent primer sur ceux de l’armée qatarie.

 

Enfin, EDIP contribuera tout de suite à renforcer la sécurité de notre continent, cela passe par un soutien militaire accru et immédiat à l’Ukraine. Nous avons donc intégré à EDIP un instrument de soutien à l’Ukraine (USI) conçu sur le « modèle danois ». Plutôt que d’exporter en Ukraine des armes et munitions conçues pour d’autres armées, nous finançons directement l’industrie de défense ukrainienne qui est aujourd’hui à la pointe des besoins technologiques et stratégiques de la guerre moderne. Ce financement direct permet une production à l’état de l’art de l’innovation et à moindre coûts, ainsi qu’une intégration progressive de l’industrie de défense ukrainienne dans la base industrielle de défense européenne.

 

En somme, le règlement EDIP est aujourd’hui le seul instrument véritablement européen dont nous disposons pour garantir la sécurité de notre continent. Pourtant celui-ci est sous-financé. Avec seulement 1,5 milliards d’euros de budget, le programme ne serait en mesure de financer aucune avancée déterminante pour l’effort de sécurité collective. Pire que cela, l’instrument pour l’Ukraine est financé à hauteur de 0€. Le message politique derrière un soutien de façade et sans ressource serait désastreux. L’évaluation budgétaire du Parlement européen incite les États membres à diriger une partie de leurs investissements en matière de défense vers là où ils seraient le plus utile, c’est-à-dire EDIP. Nous demandons une rallonge d’au moins 20 milliards d’euros pour permettre au programme d’atteindre ses objectifs. Les négociations seront âpres mais nous y sommes prêts.

 

En moins d’un mois nous avons conclu au Parlement des discussions qui durent depuis plus d’un an au Conseil. On nous disait que c’était impossible nous l’avons fait. De leur côté, les États membres ont finalement adopté leur position commune cette semaine. Le lobby des industriels américains et les pressions directes de Washington ont amené les États à introduire plusieurs dérogations et exceptions à la règle de « préférence européenne » qui devrait réserver les fonds européens à nos industries. Les négociations interinstitutionnelles commenceront très prochainement et je me battrai pour corriger ces exemptions qui maintiennent nos dépendances et entretiennent nos vulnérabilités stratégiques.

 

Le combat pour l’émergence d’une défense européenne souveraine sera long et difficile, nous le mènerons jusqu’au bout.

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