Par
Laurent Chaudeurge, Membre du comité d’investissement de BDL Capital Management.
Depuis octobre 2024,
l’Etat français a rendu obligatoire l’investissement dans le private equity
pour tous les nouveaux PER (Plan épargne retraite) en gestion pilotée, le mode
de gestion proposé par défaut. Avec cette décision unilatérale, l’Etat explique
donner l’opportunité aux particuliers de financer « l’économie réelle ».
Cette nouvelle
contrainte est-elle légitime et dans l’intérêt des épargnants ?
Le private equity est
une classe d’actifs attrayante et qui a fait ses preuves sur longue période.
C’est une courroie de transmission essentielle entre le capital des
investisseurs institutionnels et le financement des petites et moyennes
entreprises privées. Les performances historiques sont bonnes et l’absence de
valorisation quotidienne réduit la volatilité à court terme.
Pour l’Etat, cette
décision est une évidence. Il montre qu’il prend des mesures pour financer
l’économie réelle et offre à l’industrie du private equity une nouvelle source
de financement quasi parfaite car elle est très stable et à très long terme,
l’épargne retraite des particuliers. Pour les ménages, se voir forcer la main
par l’Etat invite au questionnement car les intérêts des pouvoirs publics sont
souvent pollués par diverses ambitions politiques.
Si pour l’Etat, le
private equity finance l’économie réelle, est-ce à dire que la bourse
représente l’économie virtuelle ?
Dans les faits, les
marchés cotés représentent autant l’économie réelle que les marchés non cotés.
Que ce soit de grands champions mondiaux comme Hermès, L’Oréal ou Air Liquide
ou de plus petites entreprises françaises comme Elis, Trigano ou Robert et,
toutes ces sociétés sont cotées en bourse et sont des entreprises bien réelles
et non virtuelles. Elles emploient des dizaines de milliers de collaborateurs,
construisent des usines, commercialisent des produits et investissent chaque
année plusieurs milliards d’euros pour nourrir le développement économique de
notre pays. Leur croissance est financée par les vrais euros des investisseurs
particuliers et institutionnels qui sont leurs actionnaires, au même titre que
les fonds de private equity sont les actionnaires des entreprises privées. Tous
les PER investis en actions cotées participent donc déjà largement au
financement de l’économie réelle.
Certains laissent
parfois entendre que la performance du private equity est meilleure que la
performance des marchés cotés sur longue période. Ce type de conclusions dépend
bien évidemment des échantillons analysés, de l’horizon de temps étudié et des
méthodes employées. Différentes études apportent différentes conclusions qui
sont souvent contradictoires. Ce sujet de la performance n’est donc pas assez
indiscutable pour justifier la contrainte imposée aux particuliers.
Il y a aussi d’autres
éléments qui posent question quant au bien-fondé de la décision de l’Etat.
Tout d’abord, le
private equity est une classe d’actifs moins liquide que les actions cotées. En
moyenne, il faut attendre 8 ans avant de récupérer son épargne et l’information
publiée par les entreprises est beaucoup plus limitée. Certes, l’illiquidité permet
de ne pas valoriser les investissements quotidiennement, mais cela ne veut pas
dire que ces investissements ne peuvent pas perdre en valeur.
Ensuite, les sociétés
détenues par les fonds de private equity sont généralement plus petites et plus
endettées (3 ou 4 fois plus) que les sociétés cotées. Les investissements en
private equity sont donc par nature plus risqués et ils étaient jusqu’à
maintenant réservés aux investisseurs professionnels.
Enfin, quid du timing
de cette loi ? Le private equity montre quelques signes d’essoufflement et la
collecte ralentit. Pendant des années, l’afflux de capitaux massif dans
l’industrie et les taux d’intérêts très bas ont favorisé une forte hausse des
prix d’acquisitions. Aujourd’hui les conditions sont différentes, les cessions
plus compliquées et certains des plus grands investisseurs historiques
constatent que les performances de certaines stratégies sont décevantes depuis
deux ans par rapport aux autres classes d’actifs.
Que le private equity
soit une option d’investissement intéressante est une évidence. Qu’il apporte
des avantages différents et complémentaires de l’investissement en bourse l’est
aussi. Mais il est aussi évident qu’il est par nature plus risqué et que sa
dynamique actuelle doit amener les investisseurs à la vigilance.
Dans ce contexte, il ne faut pas remercier l’Etat de nous imposer d’investir dans cette classe d’actifs avec l’épargne que nous destinons à nos retraites. Qu’il nous en donne la possibilité est probablement une avancée souhaitable mais qu’il nous l’impose, dans les contrats en gestion pilotée, semble être un excès d’autorité injustifié.