L’analyse d’Alexandre
Dalibot, co-fondateur d’a-gO.
Chaque
jour, l’intelligence artificielle s’immisce un peu plus dans nos vies : elle
trie nos e-mails, anticipe nos déplacements, corrige nos mots, bientôt nos
gestes. On la redoute, on la fantasme, on la consomme. Pourtant, le vrai sujet
n’est pas tant de savoir si l’IA va nous remplacer, mais comment elle nous
transforme déjà.
Nous la
concevons comme un outil neutre, alors qu’elle agit comme un miroir. Ce qu’elle
révèle n’est pas seulement l’efficacité d’un algorithme, mais la manière dont
nous traitons notre propre humanité : notre rapport au temps, au soin, à la
vulnérabilité. L’IA, en réalité, nous met face à nos contradictions.
De la
puissance à la responsabilité
Le
pouvoir de l’IA ne réside pas tant dans sa force de calcul que dans sa capacité
à détecter l’invisible : signaux faibles, comportements imperceptibles, risques
à venir. Dans la santé, cette capacité peut devenir un levier inestimable :
prévenir avant de guérir, anticiper plutôt que réparer.
Mais
cette promesse n’a de valeur que si nous savons l’encadrer sans l’étouffer.
Trois
chantiers s’imposent.
1. L’éthique, d’abord
Une IA
médicale ne peut être une boîte noire.
Les
données ne sont pas un butin à exploiter, mais une confiance à préserver. La
transparence, le consentement et la traçabilité ne sont pas des options : ce
sont des fondations.
2. La diffusion, ensuite
L’IA ne
doit pas rester un luxe de centres hospitaliers bien dotés ou de pays riches.
Si elle
creuse les écarts entre territoires ou générations, elle trahit sa raison
d’être.
L’innovation
technologique n’a de sens que si elle élargit le cercle de la santé.
3. Enfin, la confiance
La
défiance envers l’IA traduit moins la peur de la machine que la peur de
l’abandon.
Quand la
technologie avance plus vite que la parole humaine, c’est le lien social qui se
fissure.
À nous de
montrer que l’intelligence artificielle peut aussi s’intégrer dans un acte de
soin et une manière d’écouter différemment le corps et ses signaux.
Car
au-delà des peurs et des promesses, une question demeure : que voulons-nous
traiter, avec l’IA ?
Vers
une médecine du temps long
Nous
sommes à un tournant.
La
médecine du XXIᵉ siècle ne sera pas seulement curative, mais prédictive.
L’IA
ouvre la voie à une approche plus proactive de la santé : détecter un trouble
avant qu’il ne s’installe, agir avant que la mémoire ne se voile, redonner du
temps à la vie.
Encore
faut-il accepter de repenser notre modèle : passer d’une médecine de crise à
une médecine d’anticipation, d’un réflexe de réparation à une culture de
prévention. C’est une mutation culturelle, pas seulement technologique.
L’IA,
un miroir de nos choix
L’intelligence
artificielle ne remplacera pas l’humain mais révèlera la qualité de nos choix
collectifs.
Elle peut
devenir un outil de domination ou un instrument d’émancipation.
Tout
dépend de ce que nous décidons d’en faire.
Plutôt que de craindre l’IA, faisons-en une alliée : non pour penser à notre place, mais pour nous aider à mieux prendre soin de la vie, dans toutes ses fragilités.


