Par Philippe Crevel, Directeur
du Cercle de l'Épargne.
Au premier trimestre 2025, le taux d’épargne des ménages
français a atteint 18,8% du revenu disponible brut, un niveau jamais observé
depuis 1979. Selon la note de conjoncture de l’INSEE publiée en juin, cette
hausse remarquable s’explique en grande partie par le comportement d’épargne
des retraités, notamment les plus modestes, qui ont vu leurs pensions
revalorisées de manière significative.
Une dynamique portée notamment par les retraités
Les pensions de base ont en effet été relevées de 5,3% en
janvier 2024, puis de 2,2% en janvier 2025, tandis que les retraites
complémentaires Agirc-Arrco ont augmenté de 4,9% en novembre 2023, puis de 1,6%
en novembre 2024. Dans le même temps, la consommation des retraités a progressé
à un rythme plus modéré. La part des ménages de plus de 64 ans déclarant
épargner est ainsi passée de 32% avant la crise sanitaire à plus de 40% en
2025.
La hausse du taux d’épargne n’est cependant pas limitée aux
retraités. En 2024, le pouvoir d’achat des ménages a progressé de 2,5%, mais la
consommation n’a augmenté que de 1%. L’INSEE prévoit que le taux d’épargne
moyen pour l’ensemble de l’année 2024 atteindra 18,2% du revenu disponible
brut, soit un niveau 3,8 points supérieur à celui de 2019.
Une succession de chocs et de crises
Cette tendance s’inscrit dans un contexte marqué par une
succession de chocs : pandémie, guerre en Ukraine, tensions au Moyen-Orient,
flambée des prix, instabilité politique intérieure, inquiétudes budgétaires,
etc. Ces incertitudes nourrissent une épargne de précaution durablement élevée.
Bien que l’inflation ralentisse, le sentiment des ménages reste marqué par la
perte de pouvoir d’achat passée, et par la crainte de hausses d’impôts ou de
pertes d’emploi.
Un moteur structurel : le vieillissement démographique
Au-delà des facteurs conjoncturels, des éléments
structurels expliquent ce niveau élevé d’épargne. Le vieillissement
démographique joue un rôle croissant : plus de la moitié des Français déclarent
épargner en vue de leur retraite. Les plus de 50 ans disposent des revenus les
plus élevés et voient leurs charges familiales diminuer. Par ailleurs, les
retraités, majoritairement propriétaires de leur logement, affichent un pouvoir
d’achat souvent supérieur à la moyenne. Ils épargnent pour anticiper d’éventuels
besoins liés à la dépendance ou pour transmettre un capital à leurs enfants ou
petits-enfants.
Une épargne utile à condition d’être orientée vers
l’investissement
Si l’épargne peut être perçue comme un frein à la
consommation et donc à la croissance à court terme, elle reste essentielle pour
le financement de l’économie. L’investissement – clé de la croissance future –
repose sur l’épargne d’aujourd’hui. L’épargne alimente le crédit, finance les
entreprises, soutient l’innovation et permet aux collectivités de développer
les infrastructures publiques.
Dans un pays confronté à une fragilité de son appareil productif et à un déficit commercial structurel, il est crucial de réorienter l’épargne vers l’économie réelle. Sans épargne abondante, le coût de financement de la dette publique serait bien plus élevé, et la note souveraine de la France, déjà fragilisée, aurait pu être davantage dégradée par les agences de notation.