L'analyse d’Antoine Noblet, expert
en logistique environnementale et en data des déchets chez Tri-O
Greenwishes, « conciergerie du recyclage ».
Pendant longtemps, les
déchets ont été traités comme des externalités banales, secondaires, parfois
gênantes. Aujourd’hui, ils s’imposent comme une donnée stratégique. Dans un
contexte où la performance RSE devient un critère de valorisation financière, la
manière dont une entreprise gère, mesure et déclare ses déchets devient un
révélateur de sérieux, de rigueur et d’engagement.
La directive CSRD,
entrée en vigueur en 2024, exige désormais un reporting extra-financier d’une
précision quasi comptable. Pourtant, 90% des entreprises continuent de déclarer
leurs déchets sur la base d’estimations. Elles travaillent par tonnage
approximatif, marges d’erreur comprises, souvent loin de la réalité des flux.
Or, dans le nouveau paysage de la conformité, de la notation ESG et de la
pression des investisseurs, le flou n’a plus sa place.
Il faut peser au gramme
près pour peser dans les classements RSE. Chaque gobelet, chaque boîte, chaque
résidu a un poids, une densité, une trajectoire. Ce qui était hier un rebut
devient aujourd’hui un traceur de performance environnementale, un facteur de
différenciation concurrentielle, voire un actif de crédibilité vis-à-vis des
parties prenantes.
Nous entrons dans l’ère
d’un réalisme environnemental basé sur la donnée. La donnée fine. Ultra-locale.
Vérifiable. Le kilo arrondi n’a plus la cote. Ce qui compte, c’est le gramme
exact, intégré à un système de traçabilité capable de restituer à chaque entreprise
le vrai visage de ses déchets. C’est à ce prix que l’on peut piloter
sérieusement son scope 3, éviter les sanctions réglementaires, optimiser sa
note extra-financière et gagner la confiance des marchés.
Cette traçabilité fine
permet aussi d’ouvrir un nouvel angle d’analyse : celui de la fin de vie des
matières. Savoir précisément quels déchets sortent de votre entreprise, c’est
connaître l’impact réel que vous avez sur l’écosystème industriel de traitement
final en France. En d’autres termes, quelle est la contribution de votre
organisation à l’économie circulaire nationale ? Cette visibilité change tout.
Elle permet de mesurer les flux réinjectés dans les filières de réemploi ou de
recyclage, et d’affiner la lecture de votre impact carbone. Car selon la
nature, la destination et la valorisation des déchets, les incidences carbone
peuvent varier considérablement. Disposer de données fiables, traçables,
vérifiables devient ainsi un levier direct de pilotage du bilan carbone – un
indicateur désormais central dans les stratégies des groupes engagés.
Derrière cette exigence
se dessine un enjeu plus large : le repositionnement des déchets comme levier
de performance globale. Car il ne s’agit plus seulement de gérer des flux
sortants. Il s’agit d’observer, analyser, réduire, anticiper. De faire du déchet
une data stratégique, un miroir des usages internes, un indicateur de
transition.
Cela suppose de
repenser toute la chaîne logistique environnementale, du point de production au
traitement, en passant par la collecte, le tri et la valorisation. Cela suppose
aussi d’associer les métiers de la data aux métiers du déchet, les ingénieurs aux
logisticiens, les responsables RSE aux opérateurs terrain. Bref, cela suppose
de sortir d’un fonctionnement cloisonné pour entrer dans une logique
d’intelligence collective, capable d’aligner objectifs opérationnels,
indicateurs environnementaux et narration responsable.
Les déchets sont la donnée de l’ombre qui influence désormais les marchés. Mieux les connaître, mieux les suivre, mieux les valoriser, c’est créer un avantage compétitif mesurable. Et dans un monde où la réputation vaut parfois plus que la marge, il serait temps que la data des déchets prenne sa juste place dans la gouvernance d’entreprise.


