Lettre
d’informations de la délégation française du groupe S&D N°210 par
Raphaël Glucksmann
Un nouvel âge de confrontations militaires, idéologiques, politiques et commerciales s'ouvre après des décennies d'intégration économique mondiale et de globalisation effrénée. L’intrication des chaînes de valeur et la mobilité des capitaux sont instrumentalisées par nos adversaires pour affaiblir notre tissu industriel et accroître nos dépendances stratégiques à leur égard. L’Union européenne prend enfin conscience de la nécessité d’assurer sa sécurité économique, mais tout ou presque reste à faire.
La révision du règlement sur le filtrage des
investissements étrangers, adoptée sous ma responsabilité par le Parlement
européen en ce mois de mai, constitue une première pierre à l’édifice.
Cette révision suit un
cap clair : reprendre le contrôle. Reprendre le contrôle de nos chaînes de
valeur, protéger nos technologies sensibles, éviter les dépendances critiques,
mettre en place un cadre unique, prévisible pour les investisseurs
internationaux. Car sécurité économique et attractivité ne s’opposent pas,
contrairement à ce que veulent nous faire croire les tenants du laissez faire,
laissez passer.
Le Parlement européen a
fait siennes nos propositions ambitieuses, fondées sur trois piliers.
D'abord, un socle commun pour
le filtrage des investissements. Aujourd’hui, chaque État membre applique ses
propres règles. Résultat : des failles dans la protection européenne et de la
complexité pour les investisseurs. Avec notre texte, un socle commun d’investissements
sensibles ferait obligatoirement l’objet d’un filtrage et d’une autorisation
préalable. Ce cadre harmonisé mettrait fin aux disparités et renforcerait
l’efficacité du système.
Ensuite, la sécurité économique
comme boussole. Dans un contexte de rivalités géopolitiques croissantes,
l'Europe doit apprendre à dire non. Non aux investissements qui, sous couvert
de logique de marché, cachent des stratégies de domination économique. Prenons un
exemple concret : le constructeur chinois BYD, massivement subventionné par
l'État chinois, construit actuellement une usine de voitures électriques en
Hongrie. Une bonne nouvelle ? Pas si l’entreprise ne crée aucune valeur ajoutée
en Europe, si elle ne se fournit qu'en Chine et n'emploie que des travailleurs
chinois. Un tel investissement instaurerait une concurrence déloyale depuis
l'intérieur même de notre marché, étoufferait notre industrie, contredirait nos
stratégies de développement de la production de voitures électriques
européennes et créerait de nouvelles dépendances stratégiques pour notre
continent. Avec cette révision, nous pourrons imposer des conditions – comme la
création d’une coentreprise européenne ou le transfert de technologies – ou même
interdire de tels projets lorsqu’ils s’opposent à notre souveraineté
économique.
Enfin, nous opérons un saut
fédéral en matière de contrôle des investissements. Trop souvent, la logique
économique ou financière à court terme des États membres prime sur l’intérêt
stratégique à long terme de l’Europe. Pour y remédier, nous proposons une avancée
majeure : donner à la Commission le pouvoir d’intervenir en dernier ressort
pour refuser ou conditionner un investissement présentant un risque pour
l’Union. C’est un vrai pas vers une Europe plus souveraine et plus intégrée.
Ce texte s’inscrit –
avec l’instrument de défense autonome EDIP dont je suis aussi le rapporteur –
dans la rupture nécessaire avec l’irénisme des dernières décennies :
l’affirmation d’une Union européenne souveraine. Le vote du Parlement européen
en séance plénière la semaine dernière m’a donné un mandat fort pour défendre
cette position ambitieuse lors des négociations avec le Conseil. Nous pouvons
désormais faire de ce règlement un pilier d’une véritable stratégie européenne
de sécurité économique.
Le long et difficile combat pour la naissance d’une puissance européenne libre et souveraine continue. Et nous le mènerons jusqu’au bout.