L’Innovation
Makers Alliance (IMA), qui représente 150 grands groupes, administrations et
ETI françaises, dont la majorité du CAC 40 et des grandes administrations,
publie un Manifeste stratégique pour renforcer la souveraineté numérique de la
France et de l’Europe.
Fruit d’une
collaboration avec des acteurs majeurs de l’innovation tels que France 2030, La
Mission French Tech, Station F, France Digitale, la DGE, le Hub France IA,
Hexatrust ou le CESIN, ce manifeste présente 33 recommandations concrètes pour
mettre en place une véritable indépendance technologique, soutenue par des
actions ambitieuses et coordonnées à l’échelle européenne.
L’Innovation Makers
Alliance (IMA) réunit depuis 2015 les décideurs technologiques des grandes
organisations du pays
— DSI, directions digitales, data, IA, innovation ou métiers — pour partager
leurs retours d’expérience, structurer une vision commune des enjeux numériques
et accélérer collectivement les transformations technologiques, notamment en
matière de data, IA, robotique, cloud, cybersécurité ou quantique. Observatoire
de terrain des enjeux numériques, l’IMA publie aujourd’hui un manifeste pour la
souveraineté numérique, dans un contexte marqué par une montée des tensions
géopolitiques et une dépendance accrue à des technologies extra-européennes.
Ce document s’appuie
sur un large dispositif de consultation : deux enquêtes menées auprès de 136
entreprises et administrations (dont CAC 40, SBF 120 et ministères) et 70
groupes et startups fournisseurs de solutions souveraines (dont Orange, OVH,
Mistral AI, Scaleway, Pasqal, Jamespot, Outscale, LightOn…) NB : La liste des
membres de l’IMA, ainsi que des entreprises et administrations non membres
ayant participé à la rédaction du manifeste est disponible en annexe du présent
communiqué.
Il s’appuie également
sur une série d’interviews de décideurs, les travaux du Sommet sur la
souveraineté numérique organisé à Bercy en janvier 2025, ainsi que les
recommandations portées par France 2030, France Digitale, la French Tech,
Station F, le Hub France IA, Hexatrust et le CESIN.
Un document stratégique
au service de l’action
Le Manifeste pour la
souveraineté technologique et l’autonomie stratégique du numérique en France et
en Europe a pour objectif de fournir un cadre de réflexion et d’action face aux
enjeux croissants de souveraineté numérique. Ni plaidoyer politique, ni rapport
institutionnel, ce document se veut pragmatique, ancré dans les réalités du
terrain et orienté vers la mise en œuvre de solutions.
Sa vocation est double
: éclairer les risques de dépendance technologique dans des domaines critiques
(IA, cloud, cybersécurité, données…) et proposer des leviers concrets à mettre
en œuvre par les pouvoirs publics européen et français, mais aussi directement
par les grandes entreprises du pays. Le manifeste se fonde sur l’idée que
souveraineté et compétitivité ne sont pas incompatibles, mais qu’elles doivent
être pensées ensemble. Le document est construit autour de sept grands axes
technologiques : IA (dont LLM et agentique), data, cloud souverain et
infrastructures, IT & digital workplace, low code / no code, cybersécurité,
informatique quantique.
« La souveraineté
technologique n’est pas un repli, c’est un choix stratégique. Ce manifeste est
un outil de lucidité et d’action pour éviter les dépendances subies et
construire une autonomie européenne choisie. », commente Christophe
Grosbost, Chief Strategy Officer de l’IMA
Accélérer le passage à
l’action : focus sur 5 recommandations phares du manifeste
La dernière section du
manifeste propose une synthèse opérationnelle regroupant 33 recommandations
hiérarchisées, destinées à guider l’action des responsables politiques,
acheteurs, décideurs métiers, responsables innovation, acteurs publics ou
financeurs. Certaines sont immédiatement activables, d’autres relèvent de choix
stratégiques à l’échelle nationale ou européenne.
Elles abordent
l’ensemble des leviers disponibles : volonté politique, coopération
internationale, commande publique, régulation et protection des marchés
stratégiques, soutien financier et incitations fiscales, développement des
infrastructures de la recherche, cybersécurité, acculturation et formation des
citoyens, campagnes de sensibilisation des parties prenantes…
Les travaux de l’IMA et
de ses partenaires ont notamment souligné l’urgence d’appliquer les cinq
recommandations-clés suivantes :
1. Création d’un Small Business Act européen
La création d’un Small
Business Act européen, sur le modèle de celui existant aux États-Unis, consiste
à réserver un pourcentage significatif des marchés publics aux PME et startups
technologiques européennes. Cette mesure vise à structurer la commande publique
pour stimuler l'accès de ces entreprises aux marchés, un levier essentiel pour
renforcer l’écosystème technologique européen. Actuellement, les startups
dénoncent une concurrence inégale face aux géants technologiques américains et
chinois, qui bénéficient de moyens financiers considérables et d’un accès
facilité aux marchés internationaux. Cette proposition répond à un besoin
d’équité pour les startups européennes, leur permettant de développer leur
activité et d’accroître leur capacité d’innovation grâce à une commande
publique volontairement orientée vers des solutions souveraines et locales.
« Il est vital de
mettre en place un Small Business Act, tant à l’échelle française
qu’européenne, pour favoriser l’accès des startups, PME et ETI innovantes à la
commande publique. » - Dorothée Decrop, Déléguée Générale de
Hexatrust
« Les États-Unis, par
leur politique d’achat, participent déjà largement à l’épanouissement
économique des entreprises nationales des technologies. Le Small Business Act
permet ainsi d’alimenter les carnets de commandes des petites entreprises. Mais
si ce modèle est régulièrement cité en référence en Europe, il n’a jamais été
mis en œuvre sur le vieux continent, pour des raisons réglementaires et
politiques. Il est temps d’y remédier » - Robert Vesoul, PDG d’Illuin Technology
2. Mise en place d’une
plateforme centralisée d’appels d’offres incluant les commandes publiques aussi
bien que les besoins du secteur privé
Cette mesure consiste à
créer une plateforme centralisée d’appels d’offres technologiques afin d’offrir
aux startups et PME européennes une visibilité claire sur les besoins
technologiques des grandes entreprises et administrations européennes.
Aujourd’hui, les startups proposant des solutions souveraines font face à une
opacité souvent problématique sur les besoins technologiques des grands groupes
privés, en particulier pour les projets situés dans une zone grise budgétaire
(de 100 000 à 10 millions d’euros), où les entreprises passent directement par
leurs partenaires historiques (ESN, cabinets de conseil, hyperscalers, etc.)
sans publication. Les startups souveraines peinent aussi à accéder aux marchés
publics, même si ceux-ci sont théoriquement ouverts via des procédures
formalisées. En centralisant les appels d’offres, cette plateforme réduirait
drastiquement ces barrières à l’entrée. Ce dispositif assurerait une meilleure
adéquation entre les besoins des organisations européennes et les solutions disponibles
localement, facilitant l’émergence de champions technologiques européens.
« Les startups manquent
de visibilité quant aux besoins technologiques des grands groupes, ce qui
entretient la dépendance à des solutions non-européennes intégrées par défaut
par les ESN. Il faut changer de paradigme » - Christophe Grosbost, Chief
Strategy Officer, IMA
3. Création d’un « Bonus Souveraineté »
Le "Bonus Souveraineté", inspiré du modèle du bonus écologique, vise à offrir une réduction directe du prix d’achat des solutions technologiques souveraines, grâce à un financement par l’État. En complément, une fiscalité incitative est proposée, à l’image de la défiscalisation du mécénat ou de l’art, avec des réductions de charges significatives pour les entreprises qui adoptent ces technologies européennes.
Ce double dispositif vise à créer des conditions
économiques avantageuses afin de rendre les solutions souveraines plus
compétitives face à leurs concurrentes étrangères.
« L'outil d’incitation
fiscale est un levier puissant, tout comme les Américains l'utilisent pour
favoriser leurs propres entreprises. Il faut récompenser ceux qui choisissent
des solutions européennes, par exemple par des réductions d’impôts, ou une défiscalisation
» - Philippe
Latombe, Député de l’Assemblée Nationale Française, Secrétaire à la Commission
des Lois, Commissaire à la CNIL
4. Continuer les investissements massifs dans les infrastructures IA
Face à la domination
des infrastructures IA américaines et chinoises, l’Europe doit réaliser un
investissement massif dans les infrastructures d’intelligence artificielle et
la puissance de calcul. Cela se traduira notamment par la multiplication du
nombre de data centers européens et le soutien à des initiatives spécifiques
comme l’IA souveraine et les supercalculateurs. Actuellement, les
investissements américains et chinois dans le domaine atteignent plusieurs
milliers de milliards de dollars (ex. programme Stargate, 500 milliards $ dont
100 milliards dès 2025). La France et l’Europe ont depuis annoncé des
investissements à hauteur de 300 Md€. Il faudra faire plus et mieux afin de
permettre à l’Europe de se doter de moyens performants pour rivaliser à l’échelle
mondiale, tout en garantissant la souveraineté des données sensibles traitées
par ces infrastructures.
« L’Europe et la France
doivent investir massivement dans des infrastructures et services cloud
souverains, avec un processus de certification unique et simplifié et des
espaces de données sécurisés pour faciliter le partage des données et l’accès à
la puissance de calcul nécessaires à l'entraînement des modèles. Ces
infrastructures devront être alimentées à l’aide d’une énergie décarbonée et
peu chère pour rattraper l'avantage compétitif des acteurs américains et
chinois. »
- Caroline Chopinaud - Directrice Générale, Hub France IA
5. Création de data
spaces sécurisés et interopérables
La création de data
spaces européens sécurisés et interopérables est essentielle pour assurer un
partage des données maîtrisé et conforme aux régulations européennes, comme le
RGPD et l’AI Act. Elle est également fondamentale pour développer de nouveaux produits
numériques à forte valeur ajoutée grâce à la mise en commun des données de
multiples entreprises et administrations. Face aux risques des lois
extraterritoriales comme le Cloud Act, les data spaces offrent aux entreprises
européennes un cadre pour protéger et exploiter leurs données sensibles à
grande échelle, dans le respect des valeurs européennes. Ils favorisent aussi
la coopération et renforcent l’innovation et la compétitivité en Europe. Ce
dispositif constitue une réponse directe à la nécessité d’assurer une véritable
indépendance technologique, particulièrement cruciale dans un contexte mondial
marqué par l’accélération exponentielle du développement de l’IA et
l’intensification des tensions autour de la suprématie technologique mondiale.
« Construire des data
spaces européens, c’est choisir la collaboration au service d’une économie
numérique et physique conforme à nos valeurs et à nos règles. C’est nous donner
les moyens de créer des actifs numériques originaux – comme des modèles d’IA adaptés
à nos défis – entraînés grâce à ces données reflétant notre culture et nos
spécificités. Sans eux, nous innovons sous domination étrangère ; avec eux,
nous affirmons une voie européenne, démocratique, progressiste et scientifique.
» -
Aldrick Zappellini, Chief Data & AI Officer, Groupe Crédit Agricole
Au-delà de ces 5
recommandations stratégiques phares, le manifeste présente au total
33
recommandations, dont certaines tout autant essentielles, telles que :
- Commande publique
française et européenne unifiée : Centraliser et unifier les commandes publiques
entre administrations et même pays pour augmenter leur volume, en privilégiant
les critères de souveraineté pour soutenir les startups européennes et
permettre la création de géants européens capables de mieux rivaliser ensuite à
l'international.
- Hébergement souverain
des données :
Imposer le stockage des données stratégiques sur des infrastructures
européennes, notamment pour les entreprises sensibles et les administrations.
- Union des marchés de
capitaux :
Orienter l’épargne européenne vers les startups et PME technologiques
souveraines en finalisant l'Union des marchés de capitaux.
- Cloud souverain
européen :
Développer un cloud européen unifié via la fusion d’initiatives nationales,
simplifier les certifications et faciliter l'intégration dans les entreprises
et administrations.
- Open source et
standards ouverts :
Encourager l'open source européen, les standards ouverts et la collaboration
publique-privée pour réduire la dépendance aux technologies étrangères et
promouvoir une politique globale d’ouverture (open science, open data, open
source).
- Régulation renforcée
des marchés stratégiques : Instaurer des barrières réglementaires aux acteurs
extra-européens dans les secteurs critiques, Adapter et renforcer la
réglementation (AI Act, DMA, RGPD) pour protéger les citoyens tout en
favorisant l’innovation, et Imposer des standards européens obligatoires dans
le cloud et les infrastructures critiques.
- Financement des
deeptechs :
Renforcer et unifier les financements publics et privés européens destinés aux
startups technologiques avancées (deeptech).
- Politique
industrielle ambitieuse : Structurer les filières technologiques européennes et
imposer des standards industriels communs.
- Cybersécurité et
résilience numérique : renforcer les moyens des autorités européennes (ANSSI,
etc.), développer une IA défensive européenne, Instaurer une assurance cyber
obligatoire, et Sécuriser les infrastructures critiques via des solutions
européennes.
- Formation et
rétention des talents : Déployer massivement des formations spécialisées (IA,
cybersécurité, technologies souveraines), Créer des incitations financières
pour garder les talents européens.
- Coopération
intra-européenne et internationale : Structurer une coopération technologique
européenne pour renforcer l’autonomie stratégique, Multiplier les
collaborations public-privé à l’échelle européenne. Développer des champions
européens capables de rivaliser mondialement. Créer une diplomatie économique
européenne forte.
- Sensibilisation à la souveraineté numérique : Créer des labels officiels sur la souveraineté numérique, et lancer une vaste campagne de sensibilisation à destination des décideurs pour favoriser l’adoption des solutions européennes.