Reprendre une entreprise
est un parcours du combattant. Même si le repreneur s’y attend, lorsque c’est
sa « première fois », il devra apprivoiser les émotions successives qui vont le
submerger.
Explication de texte
par Pascal Ferron, président de Walter France, et spécialiste de la reprise
d’entreprise.
Quitter son poste de
manager, de directeur de business unit, de responsable de projet ou autre pour
se lancer dans la reprise d’entreprise ne résulte pas toujours d’une longue
maturation. Même si on y pensait souvent en se disant qu’un jour, oui, on aimerait
bien se lancer, cela résulte souvent d’un choc imposé par des évènements non
maîtrisés tel qu’un licenciement un peu rapide… Et pourtant, il vaudrait mieux
que la petite graine de l’entrepreneuriat ait poussé progressivement dans le
cerveau : avoir pris des avis, pesé le pour et le contre, mis de côté son petit
pactole… avant de prendre la décision de se lancer.
> L’enthousiasme des
premières semaines
Au début, c’est
follement excitant ! Vous annoncez à tout le monde que vous allez reprendre une
entreprise, vous vous inscrivez à une formation de repreneur d’entreprise, vous
prenez contact avec les cabinets d’intermédiation auxquels vous expliquez pourquoi
vous êtes le meilleur des meilleurs, vous montez votre dossier, vous
sélectionnez votre expert-comptable et votre avocat, vos potentiels futurs
investisseurs (love-money ou autres) – la formation vous aura convaincu que,
oui, vous avez besoin de plusieurs conseils, au minimum deux, mais quand même,
ça va coûter plus cher que prévu –… Bref, vous êtes sur votre petit nuage,
plein d’entrain et très occupé. Tout va bien se passer, on le sent bien, là…
> L’espoir de la
première rencontre avec un premier cédant
Vraiment, vous avez de
la chance, assez rapidement, le cabinet d’intermédiation organise un premier
rendez-vous avec un cédant. Inespéré !
Ce n’est pas le secteur
d’activité auquel vous avez pensé a priori, mais bon, on vous a expliqué qu’il
fallait s’ouvrir à d’autres opportunités, alors pourquoi pas. Et puis c’est
vraiment une belle entreprise, un peu plus petite que ce à quoi vous pensiez,
mais avec une belle marge. Géographiquement, ça colle aussi. Pas vraiment à 50
mètres de chez vous mais dans une région ensoleillée ou vous vous voyez bien
vivre.
Vous avez étudié le
dossier du cédant, plus vous vous y plongez, plus vous vous dites que ce serait
vraiment génial pour vous. Vous y croyez à fond.
> La certitude que
le contact avec le cédant est excellent
Pendant le rendez-vous,
ah ! Là, vous vivez un grand moment. C’est l’occasion d’exposer au cédant
toutes les merveilleuses choses que vous avez accomplies au cours de votre
carrière en tant que « Head of X department », « Heaf of European area », «
Directeur général groupe », ou des postes plus modestes, mais où vous avez
excellé. Il ne pourra qu’être convaincu que vous êtes l’homme de la situation
pour multiplier par quatre le chiffre d’affaires de sa boîte.
Le cédant vous écoute
attentivement, vous pose des questions… qui vous surprennent un peu par leur
côté terre à terre. Eh oui, le cédant, lui, est dans l’opérationnel 7 jours sur
7. Mais bon, vous êtes au top, le rendez-vous s’est super bien passé selon vous
; sûr qu’au deuxième rendez-vous, il vous donnera son accord !
> La déception
Les jours passent, pas
de nouvelles. Vous relancez l’intermédiaire. Le cédant est en voyage
d’affaires, le cédant a un problème avec un gros client, ou alors le cédant est
parti en vacances…
Au bout de deux longues
semaines, l’intermédiaire vous appelle pour vous annoncer que le cédant ne
donne pas suite. Vous tombez de haut. « Ah bon ? Mais pourquoi donc ? Le
rendez-vous s’est pourtant très bien passé ? » De votre point de vue, oui, mais
le cédant n’a sans doute pas été convaincu par votre brillant parcours dont il
n’a que faire. C’est un apprentissage : la prochaine fois, vous passerez plus
de temps sur vos qualités humaines, vos compétences managériales, votre
capacité d’adaptation… Vous l’écouterez davantage pour chercher à être en phase
avec lui.
> L’impatience
Bon, positivons, cela
ne fait que deux mois que vous avez commencé votre recherche, vous allez avoir
d’autres opportunités, vous en êtes certain. Ah oui, mais nous sommes début
décembre, les fêtes approchent, pour les cédants, ce n’est pas le moment, pensons
à Noël et aux sports d’hiver.
Là, vous commencez à
trouver le temps long. Certes, vous regardez de bonnes séries télé l’après-midi
dans votre canapé, mais au bout d’une semaine, vous n’en pouvez plus. Vous
rappelez les intermédiaires, qui vous expliquent que ce n’est pas la bonne période,
que pour l’instant ils n’ont pas de dossier pour vous, qu’il faut attendre,
qu’il faut être patient.
Attendre ? Vous qui
viviez à 200 à l’heure dans votre poste de cadre, vous ne comprenez pas ce qui
vous arrive. La patience, ce n’est pas votre point fort. C’est énervant, c’est
agaçant de ne pas avancer.
Et pourtant…
l’apprentissage de la patience est fondamental dans le processus de la reprise
d’entreprise.
> Le doute et le
découragement
C’est généralement à ce moment-là que s’insinue le doute dans votre esprit. Et si je m’étais trompé ?
Et si la reprise d’entreprise, ce n’était pas pour moi ? Et si je ne trouvais pas d’entreprise à reprendre ?
Et si ça traîne trop, mes réserves financières
vont s’amenuir ? Car c’est également au même moment que de bonnes âmes viennent
renforcer votre doute : « Ah bon ? Tu n’as eu qu’un rendez-vous ? », « Tu es
sûr que c’est fait pour toi, la reprise d’entreprise ? », « Tu n’aurais pas
intérêt à rechercher un travail salarié, quand même ? »
Et si, quinze jours
plus tard, alors que, déjà, vous n’êtes plus au top, un intermédiaire vous
appelle pour annuler une rencontre, vous entrez dans la phase de découragement.
Heureusement, vous avez
choisi de bons conseils, et ils joueront pleinement leur rôle dans ces périodes
difficiles pour vous remonter le moral et vous expliquer que les déceptions et
les doutes font partie intégrante du processus.
> L’apprentissage de
l’endurance et de la patience
Alors vous reprenez
votre bâton de pèlerin et vous recommencez, encore et encore. Car tous les
repreneurs qui ont réussi vous le diront : en matière de reprise d’entreprise,
il faut compter un à deux ans pour arriver à ses fins. C’est long. Il vous faut
apprendre la patience, accepter le temps des cédants qui n’est pas le vôtre. Le
cédant, lui, gère son entreprise au quotidien ; sa transmission, il s’en occupe
« en plus », alors que pour vous c’est, à cette époque de votre vie en tout
cas, votre raison de vivre. Reprendre en deux ou trois mois peut se produire,
mais mieux vaut considérer cela comme une exception.
> La détermination,
la persévérance et… la foi !
Pascal Ferron l’affirme
haut et fort :
« Ce qui fait la différence, c’est la détermination et l’opiniâtreté. Un
repreneur qui croit en son projet, qui a foncièrement envie de reprendre une
entreprise, qui s’en donne les moyens, et qui sait surmonter les moments de
doute pour toujours y croire avec sang-froid, encore et encore, celui-ci
réussira toujours. »
Et surtout, même si c’est important, ce n’est pas le montant de l’apport qui sera crucial. C’est la force de conviction du repreneur qui saura, grâce à sa « niaque », entraîner dans son sillage sa famille, les intermédiaires, les financeurs et… le cédant !