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[Initiatives] Grand âge : un saut dans le vide ?

L’Ascop-Ehpad alerte sur une bombe à retardement sociale et économique.

 

La France vieillit et, avec elle, le modèle de prise en compte du grand âge vacille.
Selon l’Insee notre pays comptera 700 000 personnes âgées supplémentaires en perte d’autonomie d’ici 2050, soit une hausse de 36%. Plus d’un million de Français vivront alors en Ehpad. Et pourtant, aucune stratégie de financement à la hauteur de ce défi n’émerge.

 

Le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 (PLFSS 2026), actuellement examiné au Parlement, ne marque pas la rupture attendue. Dans son avis du 27 octobre 2025, le Groupe de réflexion sur le grand âge (GR31), rattaché à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), souligne que le texte « reste largement insuffisant pour répondre aux besoins croissants des personnes âgées et en situation de handicap » et « poursuit une logique de court terme sans vision d’ensemble ».

 

Malgré un consensus sur l’urgence démographique, le financement de la dépendance demeure mal appréhendé, et sous un angle strictement budgétaire, sans vision structurelle de long terme.

 

Le désengagement silencieux de la puissance publique

 

Depuis quinze ans, la puissance publique s’est peu à peu retirée du champ du grand âge. Les réformes se succèdent, sans moyens nouveaux, pendant que la charge repose toujours davantage sur les grands groupes privés. Ceux-ci, déjà fragilisés par des charges d’exploitation en forte hausse et la défiance qui frappe le secteur depuis « l’affaire Orpéa », voient leurs marges se réduire et leurs projets de développement sont suspendus.

 

Au-delà des exploitants, la crise affecte aussi les investisseurs, notamment plusieurs dizaines de milliers de particuliers - commerçants, salariés, professionnels libéraux, retraités - qui ont financé la construction et la modernisation du parc des Ehpad sur tout le territoire, et ceci pour plus de 10 milliards d’euros depuis le début des années 2000. Leur engagement, conçu comme un investissement socialement utile et pérenne, est devenu très vulnérable. En effet, face à la contraction de leurs marges, les exploitants reportent leur déséquilibre économique sur ces investisseurs, devenus une variable d’ajustement d’un système à bout de souffle.

 

Lorsque les exploitants renégocient à la baisse les loyers versés aux investisseurs ou refusent de renouveler les baux, ces derniers se retrouvent sans protection. Et lorsque l’exploitant quitte l’établissement, leurs biens perdent l’essentiel de leur valeur car l’établissement ne peut poursuivre en tant qu’Ehpad sans les droits d’exploitation confiés à l’exploitant. Les chambres restent inoccupées, impossibles à revendre ou avec une baisse de valeur dépassant généralement 80%. L’investissement initial, souvent un projet d’épargne retraite ou de transmission patrimoniale, se transforme brutalement en perte sèche.

 

Un modèle à reconstruire, non à aménager

L’investissement privé dans les Ehpad a longtemps été considéré comme une forme d’épargne solidaire, au service d’un besoin collectif incontestable. Mais faute de cadre adapté, ce modèle s’est déréglé.

 

Aujourd’hui, cette situation génère un triple risque :

• économique, car la défiance des investisseurs assèche en grande partie les futurs financements du secteur, qu’ils soient faits à titre privé ou via des sociétés foncières ;

• juridique, car les baux commerciaux classiques, d’une durée trop courte, ne répondent pas aux spécificités du secteur ;

• social, enfin, car si rien ne change, le retrait inéluctable des investisseurs privés menace la capacité de notre pays à accueillir dignement sa population vieillissante.

 

Pour Didier Riebel, président de l’Ascop-Ehpad : « La prise en charge du grand âge doit faire l’objet d’une refondation de son modèle économique. Il faut le reconstruire sur une base claire et partagée entre les acteurs, articulant financement public, investissement privé et régulation cohérente. »

 

Des initiatives pour restaurer la confiance

 

Face au risque de rupture, l’Ascop-Ehpad multiplie les initiatives. L’association loi de 1901, qui accompagne près de 6 000 copropriétaires confrontés à des situations souvent difficiles, a engagé un dialogue avec les exploitants privés afin de proposer des outils concrets pour sécuriser la relation entre copropriétaires et gestionnaires. Un projet de bail plus équilibré et protecteur pour les deux parties a été élaboré et soumis à la concertation. Parallèlement, une charte de bonnes pratiques a été rédigée pour encadrer les relations contractuelles, renforcer la transparence et promouvoir une éthique commune dans la gestion des établissements au plan immobilier.

 

Ces propositions s’inscrivent dans un esprit constructif visant à redonner au secteur un cadre stable et durable après des années de défiance. Encore faut-il que les exploitants et les pouvoirs publics s’en saisissent !

 

On aurait pu attendre du Pacte de confiance pour le bien vieillir, signé en septembre 2025 sous l’égide de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), qu’il ouvre la voie à une approche réellement globale. Ce texte traduit une volonté de transparence et un effort de concertation que l’on peut saluer ; mais il laisse dans l’ombre les investisseurs, qui ont pourtant très largement contribué à la création et à la modernisation du parc d’Ehpad privés.

 

En les tenant à l’écart, ce Pacte ne répond qu’imparfaitement à la crise de confiance qu’il prétend résoudre.

En effet, la dépendance ne pourra être repensée durablement que si tous les acteurs du modèle, y compris ceux qui en assurent le financement, sont reconnus et associés à sa refondation.

 

Pour une vision collective de l’investissement social

Depuis sa création, l’Ascop-Ehpad plaide pour une approche du grand âge fondée sur la coresponsabilité.

L’investissement citoyen ne doit pas être considéré comme un simple relais de l’action publique, mais comme une composante essentielle du modèle à reconstruire. Les particuliers qui ont financé la création et la modernisation des Ehpad ont permis, à leur échelle, de maintenir un service d’intérêt collectif là où l’État se retirait.

 

Aujourd’hui, leur engagement doit être reconnu et protégé. Cela suppose un cadre législatif clair, une parole publique cohérente et un dialogue institutionnel pérenne entre exploitants, pouvoirs publics et investisseurs.

 

Car le vieillissement de la population n’est pas une fatalité économique, mais une responsabilité collective. Reconnaître et sécuriser l’investissement citoyen au service de nos aînés, c’est assurer la pérennité d’un modèle d’accueil fondé sur la dignité, la confiance et la solidarité, trois piliers sans lesquels la question de la prise en charge des personnes âgées dépendantes restera un défi non résolu de notre cohésion sociale.

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