Lors du salon Produrable qui a eu lieu les 9 et 10 octobre 2025 à Paris, Yveline Pouillot, responsable RSE au sein de Walter France, a interviewé deux dirigeants dans des secteurs d’activité où la mise en place de la RSE n’allait pas de soi.
Retours d’expérience
sur les résultats vertueux de cette démarche.
Malgré l’avenir
incertain et l’allègement des contraintes en matière de CSRD, certaines
entreprises que rien ne prédestinait à s’intéresser à la RSE se sont lancées
dans la démarche. Interview croisée de deux entrepreneurs convaincus.
Y. Pouillot : en quoi
vos entreprises ne paraissaient-elles pas destinées a priori à s’intéresser à
la RSE ?
Laurent Brégeault : Enovio est une PME
industrielle née de la fusion en 2021 de 3 sociétés reprises en 2018. Notre
activité s’articule autour de deux axes : la conception et l’injection de
produits plastiques, l’usinage de pièces mécaniques et la fabrication de nos
moules d’injection. Notre équipe de 40 personnes travaille pour les secteurs
industriel, électronique, agro-alimentaire et de la défense, entre autres.
Laurent Vittoz : Valfrance est une
coopérative qui produit des céréales en Seine-et-Marne et dans le sud de l’Oise
; elle regroupe 1 400 agriculteurs. Nos clients vont de la petite meunerie
locale jusqu’aux gros clients à l’export en Chine. Avec 850 000 tonnes de
collecte par an, nous sommes une petite coopérative parmi les grosses, et une
grosse parmi les petites. Chez les agriculteurs, et chez les céréaliers
notamment, la première préoccupation est de produire et d’être rentable ; la
RSE n’était absolument pas leur préoccupation en 2018.
Quelles raisons vous
ont incités à vous engager dans cette démarche, et comment l’avez-vous initiée
?
L. Brégeault : En 2018, notre
entreprise avait obtenu la certification qualité ISO 9001 mais personne ne
parlait de RSE. Ce fut cependant le socle qui nous a permis de construire notre
démarche RSE, dont le lancement est très récent. En 2022, toute l’équipe se
demandait ce qu’était la RSE. C’est une conviction personnelle qui est devenue
collective. Le coup d’envoi a été lancé avec l’organisation d’une fresque du
climat. A partir de là, sous l’impulsion de la direction, toute l’équipe a été
embarquée. Honnêtement, cela a été vraiment laborieux les premiers mois ; il a
fallu déployer beaucoup de conviction. Nous nous sommes fait accompagner par un
cabinet pour définir nos axes stratégiques et nous obliger à améliorer en
permanence nos pratiques. Nous avons été certifiés ISO 14001 en 2024 et, cet
été, notre première évaluation Ecovadis nous a accordé le Bronze. Cela nous
incite à redoubler d’efforts ! Nous visons la norme ISO 26000 dans les trois
années à venir.
L. Vittoz : Avant même que je
prenne la direction, le conseil d’administration de notre coopérative avait
toujours cherché à être innovant. Depuis 40 ans, des filières qualitatives ont
été mises en place (Agri confiance…). Quand je suis arrivé en 2017, la RSE
était un concept étranger dans le secteur agricole. J’avais une appétence
personnelle pour la RSE, peut-être parce que j’ai des enfants… Et le conseil
d’administration avait cette volonté d’être avant-gardiste. Nous avons tous des
sensibilités différentes. Certains sont fermés, d’autres sont
climatosceptiques. Il a fallu convaincre, une personne chaque jour.
Aujourd’hui, la RSE est devenu un basique. Mais il est évident que nous avons
réussi à développer petit à petit cette démarche car les membres du conseil d’administration,
le codir et moi-même avons donné une très forte impulsion. Nous avons fait
appel à l’AFNOR, dès lors que notre système était en place. En 2022, nous
avions obtenu le label « entreprise niveau AFNOR confirmé ». Nous venons d’être
réévalués au début du mois de septembre 2025, et nous sommes très fiers d’avoir
obtenu le niveau supérieur : le niveau « exemplaire », qui est le niveau
maximum en termes de RSE à l’AFNOR ! Très peu de coopératives disposent d’une
telle évaluation ! Fierté du travail réalisé, fierté pour tous nos
collaborateurs et agriculteurs investis ! Et enfin fierté d’avoir été des «
précurseurs » pour une entreprise agricole de notre taille.
Mais nous ne nous
reposerons pas sur nos lauriers. Progresser et porter haut et fort les couleurs
de la RSE, tel est notre objectif chez Valfrance !
Ce n’est pas encore à
100% nécessaire pour la mise sur le marché, mais nous avons de plus de plus de
clients dans la brasserie mondiale, dans la meunerie, dans l’amidonnerie qui,
eux, sont extrêmement vigilants à ce type de démarche. Et nous sentons un
frémissement côté fournisseurs, qui commencent à s’intéresser sur la manière
dont leur impact sur la planète peut être diminué. Idem pour nos banquiers,
assureurs, partenaires en tous genres…
Pouvez-vous nous donner
des exemples concrets de mise en œuvre de la RSE dans votre manière de produire
?
L. Brégeault : Nous concevons des
pièces plastiques et cette activité est souvent critiquée. Cependant nous avons
à cœur de concevoir et de produire de la manière la plus responsable possible.
Par exemple, nous analysons les facteurs d’émission de nos matières pour s’inscrire
dans les objectifs de réduction du SCOPE 3 de notre bilan carbone. Nous
étudions les matières biosourcées comme substitut au pétrole. Nous travaillons
avec un recycleur local, situé à moins de 50 km de notre usine. Nous évitons la
traversée des mers pour nos matières et nos approvisionnements en général, et
il en est de même pour nos moules. Tous nos moules sont fabriqués en France,
dans nos ateliers – évitant ainsi des transports inutiles et préservant nos
emplois.
Aujourd’hui, nous
sommes fiers d’être autonomes sur notre partie outillage. On introduit plus de
50% de matière recyclée ou biosourcée dans nos produits, qui vient des pays de
Loire. Et nous avons à cœur d’atteindre 75% de matière recyclée d’ici 2029. Cet
objectif est ambitieux, car il faut savoir que moins de 30% du plastique est
recyclé en France. Les matières recyclées sont de plus en plus performantes et
mieux acceptées par nos clients.
Et des exemples sur
l’aspect Social ?
L. Vittoz : nous avons un comité
interne qui travaille sur tous les aspects de la RSE (améliorer notre bilan
carbone et notamment sur Scope 3 en accompagnant les agriculteurs ; mettre en
place notre trajectoire climat ; l’aspect social et notamment sur l’égalité hommes-femmes…).
De plus en plus de femmes reprennent des exploitations agricoles. On essaye
donc d’intégrer de nouvelles administratrices. A ce jour, nous avons 3
administratrices sur 23 membres du conseil d’administration, nous sommes donc
encore loin de la parité, mais sur la bonne voie !
La marque employeur est
aussi importante. L’attraction et la fidélisation de profils compétents passent
aussi par la RSE. Résultat : nous avons un turn-over exceptionnellement bas,
en-dessous de 1%. Nous avons 170 collaborateurs. Et j’avoue que j’ai changé
d’avis. Alors que je pensais que le turn-over était une richesse pour
l’entreprise, aujourd’hui je suis convaincu que des salariés qui vivent
l’entreprise, qui y sont bien, qui en ont la connaissance, qui ont le
savoir-faire, permettent la résilience, la performance, et le bien-être ! Nous
sommes une entreprise paternaliste, et le revendiquons ! Une entreprise de
proximité ; tant pour ses salariés que pour ses agriculteurs.
L. Brégeault : En 2018, nous avions
20% de turn-over et de nombreux dysfonctionnements. Aujourd’hui, nous sommes
descendus entre 3 et 4% ! Nous avons beaucoup réfléchi aux conditions de
travail, à la flexibilisation du temps de travail, sur les contraintes
ponctuelles liées au parcours de vie… Nous avons concrétisé nos réflexions et
mis en place de nombreux dispositifs. Nous avons également beaucoup travaillé
sur la formation, au-delà des formations réglementaires, et miser sur la
formation entre collègues. Ce faible turn-over permet de bien travailler en
équipe et au bout d’un certain temps, une maturité s’instaure dans la relation.
Aujourd’hui, tout ceci est très positif pour les personnes et pour
l’entreprise.
Comment se positionne
votre éco-système ?
L. Brégeault : Nous avons des clients extrêmement engagés. Nous avons également des clients qui le sont beaucoup moins et qui sont focalisés sur les prix ; dans ce cas le dialogue est plus difficile, mais nous avons des succès. Nous prenons le temps avec nos clients de parler matières, logistique, moule
– made in France exclusivement – pour
adapter l’outillage à leur besoin. Nous faisons le même travail avec nos
fournisseurs, certains sont engagés, d’autres moins… nous avons encore des
progrès à faire.
Pouvez-vous nous
indiquer en synthèse pourquoi une démarche RSE est indispensable aujourd’hui ?
L. Brégeault : En tant que plasturgiste, nous n’avons pas le choix. Les produits de nos clients ont tous une raison d’être. Je ne parle pas des plastiques jetables, mais des produits durables en plastique.
En revanche, nous devons tout faire pour promouvoir
l’éco-conception et le recyclage. Pour moi, les contraintes réglementaires ne
doivent pas être décriées. Elles nous font progresser, et nous obligent à nous
réinventer. La RSE dynamise notre activité économique. Nous travaillons pour
quelque chose qui nous parle, qui a du sens pour toute l’équipe. Nous
n’imaginons pas une seconde revenir en arrière.
L. Vittoz : Dans l’agriculture, on croule sous la réglementation. On ne peut pas toujours transformer une contrainte en opportunité, mais de mon côté je préfère agir plutôt que subir. Avec l’allègement de la CSRD depuis six mois, on n’est plus obligé « d’y aller », mais on va y aller quand même ! Il y a 8 ans, on pouvait passer pour des farfelus quand nous parlions de RSE, mais aujourd’hui c’est devenu un acronyme commun. De toute manière, aujourd’hui, il n’est plus pensable qu’un organisme quel qu’il soit ou une entreprise envisage de ne pas prendre en compte le climat, l’environnement, le sociétal ; tout en gardant un œil très vigilant sur les aspects financiers. Car sans résultats financiers positifs, rien n’est possible, que ce soit pour une coopérative agricole, pour les exploitations agricoles avec qui et pour qui nous travaillons, ou plus généralement pour toute entreprise, quelle qu’elle soit !
Autant surfer sur ce
qu’on a mis en place depuis des années pour continuer. Par ailleurs, plus on
est engagé, plus les organismes bancaires proposeront des prêts préférentiels,
plus nos clients se tourneront vers nous, plus nos assureurs seront enclins à
nous protéger….
Pour Yveline Pouillot : « Quel que soit le secteur d’activité, il est toujours possible d’engager des actions RSE, pour minimiser son impact sur l’environnement et favoriser la cohésion sociale au sein de son entreprise. Les organisations qui ne s’y sont pas encore intéressées doivent démarrer au plus vite ! »


