Par Julien Meyfret,
Fondateur d'Outpost Synergy Partners.
Après les États-Unis en
2024, l'Europe a fixé la date : 11 octobre 2027. À partir de ce jour, toutes
les transactions en actions et obligations devront être réglées en T+1, au lieu
de T+2.
À première vue, un simple ajustement technique. Dans les faits ? Un bouleversement complet des équilibres de change (FX). Les asset managers français, fortement dépendants des flux internationaux
et de leurs custodians, sont les plus exposés.
Le risque n'est pas
seulement opérationnel. Il s'agit avant tout de gouvernance et de
responsabilité fiduciaire.
1. Le nouveau paradigme
T+1
Passer de 48 heures à
moins de 24 heures transforme radicalement la mécanique post-trade :
• Compression du temps
de couverture :
la fenêtre pour exécuter les ordres FX se réduit à quelques heures.
• Dépendance aux
cut-offs des custodians : le moindre décalage devient critique.
• Décalages horaires : un trade US exécuté en
fin de journée doit être couvert avant que les confirmations ne soient
disponibles.
Moins de temps, plus de
risques.
Pourquoi le FX est-il
au cœur du dispositif ?
Parce qu'il est le
point de passage obligé qui conditionne l'ensemble de la chaîne post-trade :
• **Collatéral
management** :
Un fail FX retarde la livraison de titres, ce qui déclenche des appels de marge
imprévus et désorganise la gestion du collatéral.
•
**Souscriptions/rachats** : Les délais de règlement des fonds (T+2/T+3) ne s'alignent
plus avec le T+1 des titres. Un retard FX bloque les rachats et impacte la
liquidité.
• **Valorisation des
fonds** :
La NAV dépend de la capacité à couvrir les positions à temps. Un slippage FX de
quelques points de base se répercute directement sur la performance.
• **Gestion de
trésorerie** :
Les cash buffers des UCITS (5-10%) deviennent insuffisants si les flux FX ne
sont pas anticipés avec précision.
En résumé : le FX n'est pas un
sujet isolé. C'est le goulot d'étranglement qui, s'il dysfonctionne,
désorganise l'ensemble de la chaîne opérationnelle et fiduciaire.
2. Un vendredi
après-midi chez un asset manager
16h30, Paris. Votre
trader confirme un achat d'actions US de 50M$. Lundi est férié aux États-Unis.
Votre custodian exige l'instruction FX avant 18h pour respecter les cut-offs
CLS.
Problème : votre middle-office
attend encore la confirmation du broker. Votre procédure habituelle ? Attendre
la confirmation, puis lancer le FX. Sous T+2, vous aviez jusqu'au lendemain
matin. Sous T+1, vous avez 90 minutes.
Les questions
opérationnelles concrètes :
• Qui prend la décision
de couvrir sans confirmation formelle ?
• Quel niveau de risque
votre Compliance accepte-t-elle ?
• Que se passe-t-il si
la confirmation arrive différente de l'ordre initial ?
• Combien coûte une
couverture d'urgence à 17h55 avec des spreads élargis ?
Et ce n'est que le
scénario simple. En réalité, sous T+1, vous devrez également gérer les
exécutions partielles : votre ordre de 50M$ ne se remplit qu'à hauteur de 35M$
en fin de journée. Couvrez-vous les 35M$ immédiatement, ou attendez-vous le
fill final demain ? Si vous attendez, vous prenez un risque FX overnight. Si
vous couvrez maintenant et que les 15M$ restants ne s'exécutent jamais, vous
avez une position FX orpheline à dénouer. Sous T+2, ces ajustements se
faisaient le lendemain matin avec visibilité complète. Sous T+1, vous décidez à
l'aveugle, en temps réel, avec des spreads de fin de journée.
Ce scénario,
anecdotique en T+2, deviendra quotidien en T+1. Et il se reproduira sur chaque
trade international, chaque vendredi avant un jour férié, chaque fin de
trimestre.
La vraie question : vos procédures
opérationnelles sont-elles documentées pour ces cas ? Vos équipes savent-elles
qui décide, à quel coût, avec quelle autorisation ?
3. Les risques concrets
pour les asset managers
|
Type
de risque |
Conséquence
post-T+1 |
Impact
chiffré |
|
Fails de règlement |
Hausse mécanique du risque d'échec,
déjà autour de 6-8% sur les actions en zone euro (Banque de France) |
Expérience US : passage de 2% à 5% de
fails |
|
Coûts
& performance |
Slippage
accru, couverture forcée, impact sur la NAV |
3-5 bps
supplémentaires sur 1Md€ = 300-500k€/an |
|
Réglementaire |
L'AMF et l'ESMA scruteront la capacité
à limiter les fails et à documenter la préparation |
Pénalités CSDR + obligation de
reporting |
|
Réputation |
Perte
de crédibilité face aux clients institutionnels et contreparties |
Risque de
redemption + perte de mandats institutionnels |
4. Le FX au centre de
la feuille de route européenne
La feuille de route
publiée en juin 2025 par l'ESMA et la Commission européenne est claire :
• Les acteurs de marché
doivent planifier avec leurs custodians ou tiers pour exécuter et régler leurs
transactions FX dans les temps.
• L'augmentation des
règlements partiels devrait impacter les besoins FX.
• Les flux FX hors PvP
doivent réduire le risque de règlement conformément au FX Global Code.
• Les transactions FX
doivent être transmises à CLS avant minuit (jour de trade).
• La réduction du cycle
nécessitera l'automatisation et l'élimination des interventions manuelles.
• Les cycles de
règlement des fonds (T+2/T+3) risquent de ne pas s'aligner avec le T+1 des
titres.
Chaque point met en
lumière une réalité simple : les process manuels et les approches
traditionnelles seront insuffisants.
5. Le gap entre
stratégie et exécution
Le constat terrain : la
plupart des asset managers ont déjà lancé des analyses d'impact globales. Les
grands cabinets de conseil réalisent un travail essentiel en cartographiant
l'ensemble des impacts T+1 : réglementaire, IT, opérations, risques, conformité.
Ces analyses sont
indispensables. Elles offrent une vision stratégique complète et identifient
les priorités au niveau de l'organisation.
Mais ensuite ? Une fois le diagnostic
global posé, comment traduire ces recommandations en actions opérationnelles
concrètes, notamment sur le point critique du FX ?
Les cabinets produisent
des feuilles de route stratégiques. Vos custodians affirment qu'ils seront
prêts. Entre les deux, il reste une question : qui s'assure que VOS cut-offs,
VOS workflows, VOS équipes sont réellement alignés et testés ?
Exemple concret : votre
analyse d'impact recommande "d'automatiser les instructions FX" et
"de revoir les SLA avec les custodians". Recommandations parfaitement
pertinentes. Mais concrètement :
• Quelle solution
technologique pour votre volume et votre complexité spécifique ?
• Quel délai
d'implémentation réaliste avec vos équipes actuelles ?
• Quel plan B si
l'automatisation n'est pas prête pour octobre 2027 ?
• Comment documenter
l'indépendance opérationnelle vis-à-vis de votre custodian pour répondre aux
exigences fiduciaires ?
C'est précisément là
qu'intervient le besoin d'une expertise opérationnelle spécialisée :
transformer le diagnostic stratégique en playbook exécutable, tester les
procédures concrètes, et documenter la préparation pour les régulateurs et
investisseurs.
Les deux approches sont
complémentaires, pas concurrentes. L'une donne la direction, l'autre assure
l'exécution. Et sur un sujet aussi technique que le FX post-trade, l'exécution
fait toute la différence.
6. Pourquoi une
approche complémentaire est nécessaire
Les diagnostics globaux T+1 sont essentiels pour identifier l'ensemble des impacts organisationnels.
Mais le FX, par sa nature technique et sa criticité opérationnelle, nécessite
une expertise spécialisée complémentaire :
• Les cut-offs avancés
des custodians créent des contraintes opérationnelles spécifiques au FX.
• Les infrastructures
de marché (CLS, PvP, settlement) requièrent une connaissance pointue des
mécaniques de règlement.
• La dimension
"market structure" du FX (spreads, liquidité, timing) impacte
directement les coûts et la performance.
L'enjeu : disposer
d'une expertise qui fait le pont entre le diagnostic stratégique global et
l'exécution opérationnelle quotidienne sur le segment FX.
Vos fournisseurs vous
diront qu'ils sont prêts. Mais qui audite et documente VOTRE préparation
opérationnelle spécifique, celle que les régulateurs et vos clients vous
demanderont de prouver ?
7. La responsabilité
fiduciaire : non délégable
Le T+1 impose aux asset
managers une obligation claire : démontrer qu'ils maîtrisent le risque FX.
• Les régulateurs jugeront la préparation, pas les promesses.
• Les boards et clients
demanderont : "Quelles preuves avez-vous que vous étiez prêts ?"
Votre custodian peut
être prêt. Votre cabinet de conseil peut avoir identifié tous les risques. Mais
si VOS procédures opérationnelles ne sont pas documentées, testées et validées,
c'est VOTRE responsabilité fiduciaire qui est engagée.
Le fiduciaire ne se
délègue pas. C'est un devoir quotidien qui engage la gouvernance et la
réputation.
8. Préparer l'impact FX
: bonnes pratiques émergentes
Les méthodologies qui
commencent à se déployer s'articulent en trois volets :
1. **Audit Fiduciaire FX
Readiness** : scorecards détaillées et documentation formelle pour les
régulateurs et investisseurs. Pas un rapport théorique, mais un stress-test de
VOS process réels avec VOS équipes.
2. **Custody FX
Playbook** : révision des SLA, cut-offs, standing instructions et
automatisation pragmatique. Qui décide quoi, quand, à quel coût, avec quelle
autorisation.
3. **Exploration de
solutions émergentes** : tests, stress-tests et panorama neutre des options FX
pour évaluer la robustesse opérationnelle. Indépendance vis-à-vis de vos
fournisseurs actuels.
L'enjeu est simple :
disposer d'une méthodologie indépendante et documentée, capable de prouver que
l'asset manager a anticipé et pris en charge le risque FX.
Focus France :
• 5 000 Md€ d'encours
gérés (AMF, 2024)
• 40% investis à
l'international → forte dépendance au FX
• Settlement fails zone
euro : 6-8% (Banque de France)
• UCITS : 5-10% de cash
buffer → inefficience amplifiée sous T+1
__________
Conclusion
Le T+1 n'est pas un
horizon lointain mais un compte à rebours. Dès 2026, régulateurs et clients
demanderont des preuves concrètes de préparation.
**Le marché n'a pas
encore perçu l'ampleur du sujet. Quand il le fera, ce sera une course aux
derniers parachutes.**
Les asset managers qui
stress-testent leurs workflows FX maintenant auront un avantage net sur ceux
qui découvriront les problèmes en production.
La fenêtre pour
anticiper se ferme. 11 octobre 2027, c'est dans 24 mois. Mais la préparation
opérationnelle prend 12-18 mois.
**Les acteurs préparés
dicteront leurs termes. Les autres les subiront.**
Les asset managers
français doivent documenter leur maîtrise du risque FX et démontrer qu'ils ont
agi.
Message central : vous
restez responsables. Le fiduciaire ne se délègue pas. Entre le rapport de votre
cabinet et la réalité opérationnelle de vos équipes, qui fait le pont ?


