Le Réseau Action Climat et France
Nature Environnement publient la 3ᵉ édition de leur classement des 50 sites
industriels les plus émetteurs de CO₂ en France. Malgré des
annonces répétées de projets de décarbonation, les baisses d’émissions restent
largement conjoncturelles et les bénéfices climatiques des milliards d’euros d’aides
publiques engagés se font encore attendre.
Face à la crise
climatique et budgétaire, il est désormais indispensable de conditionner les
aides publiques aux entreprises à l’atteinte d’objectifs environnementaux et
sociaux et que les décideurs politiques gardent l’intérêt général comme seule
boussole tout en dépassant les logiques de court-terme.
Des baisses d’émissions
trop faibles et conjoncturelles
En 2024, l’industrie française reste le troisième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre, avec
62,4 millions de tonnes de CO₂e, soit 16,9% des émissions
nationales. Après une baisse marquée en 2023, les émissions industrielles n’ont
reculé que de 1,4% en 2024, une diminution liée avant tout au ralentissement de
la production et non à des transformations structurelles des procédés. Cette
tendance confirme que la décarbonation engagée reste encore trop superficielle
pour répondre aux objectifs climatiques.
Si certaines filières
ont amorcé des changements, les résultats restent très disparates. Dans les
matériaux de construction, la baisse des émissions reflète surtout un recul de
la production. Dans la sidérurgie, les émissions ont même augmenté et ArcelorMittal,
premier émetteur, a suspendu plusieurs projets de décarbonation. Le secteur de
l’aluminium a lui aussi vu ses émissions repartir à la hausse, tandis que la
chimie stagne et que l’agro-alimentaire connaît une reprise des émissions sur
de nombreux sites. Ces évolutions montrent que les efforts engagés par les
industriels restent trop partiels pour constituer une décarbonation ambitieuse.
Les décisions finales d’investissement pour les projets de décarbonation
profonde ainsi que la transformation des modèles d'affaires des industriels,
notamment vers l’économie circulaire, se font encore attendre.
Un flou budgétaire qui
freine la transition
Le manque de visibilité
sur le soutien public constitue un frein majeur à l’investissement des
industriels. Les révisions successives des enveloppes et l’absence de
trajectoire financière pluriannuelle, voire d’une réelle planification
industrielle, entretiennent l’incertitude sur l’engagement de l’Etat à soutenir
l’industrie. Pour sécuriser la transformation de l’industrie, une planification
industrielle ainsi qu’une loi de programmation des finances vertes
permettraient d’apporter la visibilité nécessaire et d’aligner politiques
industrielles, énergétiques et climatiques.
Mais ce soutien ne doit
plus se faire sans contreparties : alors que des plans sociaux et des
fermetures de sites se multiplient, il est indispensable que chaque euro
investi serve réellement l’intérêt général et contribue à une transition juste.
Pour cela, les aides aux entreprises doivent être conditionnées au respect de
critères sociaux et environnementaux.
La nécessité de la
transparence et ne pas céder à la pression des lobbies
À travers cette
publication, le Réseau Action Climat poursuit son engagement à suivre de près
les efforts de décarbonation de l’industrie, à évaluer l’efficacité de l’argent
public mobilisé à cette fin et à formuler des propositions pour garantir une
transition juste et ambitieuse.
Néanmoins, cet exercice
reste complexe alors que l’accès à l’information sur les aides distribuées aux
entreprises demeure insuffisant. Il est aujourd’hui impossible pour la société
civile d’évaluer précisément l’efficacité des aides publiques déjà versées. Le
Réseau Action Climat recommande la création d’un observatoire dédié à la
décarbonation des sites les plus émetteurs et d’un registre national public
recensant l’ensemble des aides publiques.
Loi de simplification,
règlements omnibus… de nombreux reculs environnementaux ont été actés ces
derniers mois, en raison notamment d’un lobbying de plus en plus offensif des
industriels et de leurs syndicats. Le MEDEF a par exemple triplé ses dépenses ces
dernières années - d’un montant de près de 3 millions d’euros en 2024 - et
multiplié les actions au niveau français comme européen.
Malgré l'obligation
pour les représentants d'intérêts de déclarer leurs activités et leurs dépenses
à la Haute Autorité de Transparence de la Vie Publique (HATVP), de nombreuses
limites persistent. Manque de contrôles, absence de pouvoir de sanction, champs
d'application trop restreints… le récent scandale de Nestlé Waters a mis en
lumière les conséquences du manque de transparence sur les liens entre
industriels et décideurs politiques. Le Réseau Action Climat et France Nature
Environnement formulent à cette occasion plusieurs recommandations pour rendre
plus transparentes les actions d'influence des industriels et appellent les
décideurs politiques à ne pas céder à la pression croissante de certains
industriels.
Sous couvert de simplification, la dérégulation poussée par les lobbies industriels mène à un futur échec dans l’atteinte des objectifs climatiques. “À l’heure où le dérèglement climatique s’accélère, il est inacceptable que l’industrie française ne se transforme qu’à la marge, tout en bénéficiant de soutiens publics massifs. Sans transparence ni pilotage clair, avec l’intérêt général comme boussole politique, la transition échouera. Il est temps de reprendre la main", conclut Aurélie Brunstein, Responsable industrie au Réseau Action Climat.


