Par Michel Menigoz, Directeur Général
Adjoint chez Sanso Longchamp AM.
Investir en bourse ne
se résume pas à suivre des chiffres ou des tendances. C’est un exercice subtil
de discipline intellectuelle et émotionnelle, où la psychologie peut autant
influencer la performance que l’analyse fondamentale. Parmi les biais comportementaux
les plus fréquents et pourtant les plus insidieux figure celui que l’on nomme
communément “tomber amoureux d’une action”.
Ce phénomène se produit
lorsque l’attachement émotionnel à une valeur, qu’il s’agisse d’une entreprise
admirée, d’un secteur que l’on connaît bien ou d’une performance passée
prometteuse, prend le pas sur la rationalité. Le gérant commence à interpréter les
nouvelles à travers le prisme de sa préférence, à sous-estimer les risques, à
ignorer les signaux d’alerte. La conséquence est souvent la même : vendre trop
tard, ou ne jamais vendre, au détriment de la performance globale du
portefeuille.
Historiquement, les
marchés regorgent d’exemples où ce biais a coûté cher. Pensez à la bulle
technologique des années 2000 : de nombreux gérants et investisseurs
institutionnels ont maintenu des positions sur des titres qu’ils admiraient
intellectuellement mais dont les fondamentaux ne justifiaient absolument plus
le prix. La passion pour l’entreprise a remplacé l’objectivité, et lorsque la
correction est survenue, les pertes ont été significatives. Ce type de biais
n’est pas rare : des études en finance comportementale montrent que même les
professionnels expérimentés y sont sensibles, que ce soit par excès de
confiance, biais de confirmation ou simple attachement émotionnel.
Alors, comment garder
la tête froide ? La première étape consiste à reconnaître le risque. Admettre
que l’attachement émotionnel peut interférer avec le jugement est fondamental.
Mais la reconnaissance seule ne suffit pas. Il faut structurer la gestion autour
de processus rigoureux et transparents. Chaque décision d’achat ou de vente
doit reposer sur des critères objectifs, réévalués régulièrement. Les gérants
ne doivent pas se laisser guider par leurs préférences personnelles mais par
l’analyse des fondamentaux, les perspectives sectorielles et la comparaison
constante avec des alternatives.
L’organisation de la
réflexion est cruciale. Documenter chaque décision, confronter ses hypothèses à
des contre-arguments, tester différents scénarios et respecter des seuils de
sortie prédéterminés sont autant de garde-fous contre l’attachement excessif.
Cette discipline transforme l’émotion en un outil au service de la performance,
plutôt qu’en frein ou source d’erreur.
La gestion d’un
portefeuille doit faire preuve d’objectivité. Pour cela, il est essentiel de se
doter d’outils fiables, permettant de prendre du recul et d’évaluer une valeur
sous différents angles, en s’appuyant toujours sur les mêmes indicateurs afin de
conserver des repères.
Tomber amoureux d’une
action est humain. Ignorer ce phénomène serait naïf. S’en laisser piéger est
coûteux. La clé réside dans une rationalité systématique, une vigilance
constante et une architecture de décision robuste. Les gérants qui réussissent
ne cherchent pas à éliminer leurs émotions, ce serait illusoire, mais à les
structurer et à les mettre au service d’un processus discipliné, garantissant
la cohérence et la performance d’un portefeuille sur le long terme.
Au final, investir, c’est aimer l’action… mais pas au point de se laisser aveugler. C’est transformer l’enthousiasme et la curiosité en un moteur de discipline, et faire de la rationalité et de l’objectivité, les véritables guides de l’investissement. Et c’est dans cette alchimie que réside la différence entre un portefeuille performant et un portefeuille vulnérable aux caprices de l’émotion.


