Chaque
année, les notaires de France se réunissent en Congrès afin de se former,
d'échanger et de débattre sur les évolutions nécessaires du droit.
À l'occasion de cette 121ᵉ édition, qui se tiendra à Montpellier les 24, 25 et 26 septembre sous
la présidence de Maître Jean Gaste, les notaires consacreront leurs travaux à un thème fondamental : la famille.
Présents sur l'ensemble
du territoire, les notaires accompagnent au quotidien les familles dans les
grandes étapes de la vie : mariage, pacs, adoption, séparation, transmission,
décès… Leur connaissance fine des réalités sociales, juridiques et humaines fait
de leur expertise un observatoire unique de l'évolution des liens familiaux.
Or, si la famille
demeure une notion universelle, ses contours se sont profondément transformés
ces dernières décennies. Filiation, conjugalité, parentalité : les modèles se
sont diversifiés, les attentes évoluent, les parcours de vie se singularisent.
A chacun désormais sa tribu. Ce sont ces transformations et les limites
actuelles du droit que l'équipe du 121e Congrès a choisi d'examiner.
Fruit de plusieurs mois
de travail menés par les commissions, 15 propositions d'évolution législative
seront débattues lors de ce rendez-vous majeur, en présence de plus de 3 000
notaires et professionnels du droit.
Ces propositions seront
soumises au vote des notaires de France afin d'être portées, le cas échéant, à
l'attention des pouvoirs publics. Elles visent notamment à :
- Adapter le droit aux
nouvelles réalités familiales ;
- Renforcer la sécurité
juridique des proches ;
- Faciliter l'accès au
droit et la prévention des conflits.
Par leur engagement,
les notaires de France entendent ainsi contribuer utilement au débat
démocratique et à la modernisation du droit, dans le respect des valeurs de
continuité, de stabilité et d'humanité qui fondent leur action.
Liste des propositions
Commission 1 : La
naissance de la famille
POUR UN RÉAMÉNAGEMENT
DU RÉGIME DE L'INDIVISION DANS LE PACS
Dans leur Pacs (204 061
conclus en 2023), les partenaires délaissent largement le régime de
l'indivision des acquêts lui préférant celui de la séparation des biens. Jugé
obscure et incomplète, l'indivision est également rarement conseillée par les
notaires alors même qu'elle offre des garanties de partage et de protection
pour les partenaires les plus vulnérables.
Le 121e Congrès propose
de réformer le régime d'indivision spéciale pacsimoniale en complétant les
articles 515-5-1 et 515-5-2 du Code civil, afin d'en clarifier le périmètre, de
sécuriser ses effets et d'imposer l'acte notarié pour toute convention qui y
recourt.
DYNAMISER LE RÉGIME DE
COMMUNAUTÉ PAR UNE PLUS GRANDE LIBERTÉ D'AMÉNAGEMENT CONTRACTUEL
Dans l'institution du
mariage, si les Français demeurent attachés aux valeurs de solidarité et de
protection incarnées par la communauté, ils expriment aussi une volonté
croissante d'indépendance patrimoniale. Près d'un sur deux ignore encore
l'existence des différents régimes matrimoniaux et, face aux préoccupations de
protéger les biens professionnels, souvent propres à l'un des conjoints, les
notaires orientent de plus en plus souvent vers la séparation de biens, au
détriment de la communauté conventionnelle.
Le 121e Congrès propose
de compléter l'article 1497 du Code civil qui l'organise afin de permettre aux
époux un régime de communauté conventionnelle sur-mesure et d'exclure certains
biens notamment professionnels.
POUR UNE DÉFINITION DE
LA CONTRIBUTION AUX CHARGES DU MARIAGE EN SÉPARATION DE BIENS
Un sujet sensible. Bien
que le régime de séparation de biens repose sur l'indépendance patrimoniale,
nombre d'époux l'aménagent en pratique de façon associative, en acquérant
ensemble le logement familial ou en mélangeant leurs avoirs. Lors du divorce, ces
situations entraînent un contentieux abondant, souvent alimenté par le
sentiment d'injustice de l'époux ayant contribué davantage aux dépenses
communes.
Le 121e Congrès propose
de clarifier la contribution aux charges du mariage en créant un alinéa à
l'article 1537 du Code civil, afin de distinguer les dépenses relevant de
l'obligation conjugale de celles constituant un financement personnel, et ainsi
renforcer l'équité et réduire les litiges.
PROTÉGER SON ENFANT EN
CAS D'EMPÊCHEMENT DE L'EXERCICE DE L'AUTORITÉ PARENTALE
Un sujet délicat et
fondamental : la protection de l'enfant mineur. La désignation d'un tuteur pour
un enfant mineur en cas d'empêchement des parents d'exercer leur autorité reste
juridiquement insuffisante. Seule l'intervention du juge aux affaires familiales
permet de nommer un tuteur, privant les parents de la possibilité d'anticiper
et de choisir eux-mêmes la personne de confiance qui prendra soin de leur
enfant.
Le 121e Congrès propose
de modifier les articles 403 et 404 du Code civil pour permettre aux parents,
ensemble ou séparément, de désigner par avance un tuteur pour leur enfant
mineur, non seulement en cas de décès, mais aussi en cas d'empêchement d'exercer
l'autorité parentale.
Commission 2 : La vie
de la famille
POUR UNE SIMPLIFICATION
DE LA PROCÉDURE DE CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL
La procédure actuelle
de changement de régime matrimonial est lourde. Elle nécessite notamment une
double information auprès des enfants et des créanciers leur ouvrant un droit
d'opposition. Or, en pratique, les oppositions comme les refus d'homologation
sont rarissimes, ce qui rend cette formalité coûteuse et peu justifiée car la
protection des enfants et des tiers est déjà assurée par d'autres mécanismes
(action en retranchement, action paulienne).
Le 121e Congrès propose
de supprimer la faculté d'opposition des enfants et des créanciers afin de
fluidifier la procédure, tout en maintenant un devoir d'information et la
protection offerte par les recours existants.
FIXER LES PRÉROGATIVES
DE L'USUFRUITIER ET DU NU-PROPRIÉTAIRE SUR LES DROITS SOCIAUX
La multiplication des
SCI, SARL et SAS au sein des familles entraîne de plus en plus souvent le
démembrement de droits sociaux (c'est à dire, la séparation du droit de
percevoir les revenus des parts sociales du droit de posséder ces parts), à la
suite d'un décès ou d'une transmission. Or, l'absence de régime légal clair en
la matière génère une forte insécurité juridique et fiscale, alimentant un
contentieux nourri sur la répartition des droits entre usufruitier (droit aux
revenus) et nu-propriétaire (droit de propriété).
Le 121e Congrès propose
d'insérer dans le Code civil un corps de règles fixant les droits respectifs de
l'usufruitier et du nu-propriétaire de droits sociaux, afin de sécuriser la
pratique notariale et de limiter les conflits.
DIVERSIFIER L'OFFRE
PATRIMONIALE PROPOSEE AUX FUTURS EPOUX PAR LA MODERNISATION DE LA LIQUIDATION
DU REGIME DE PARTICIPATION AUX ACQUETS
Soixante ans après son
introduction, le régime de la participation aux acquêts (chacun garde ses biens
mais partage l'enrichissement pendant le mariage) reste marginal : il
représente moins de 1% des contrats de mariage. Complexe et mal connu, il est
rarement conseillé par les notaires, malgré ses atouts d'équilibre entre
séparation et communauté. Deux règles en particulier alimentent incompréhension
et injustices : l'évaluation des biens à une date trop tardive et une
prescription abrégée de trois ans.
Le 121e Congrès propose
de moderniser la liquidation de la participation aux acquêts en fixant
l'évaluation des biens à la date de dissolution du régime et en alignant la
prescription sur le délai quinquennal de droit commun.
MODERNISER L'HYPOTHÈQUE
LÉGALE DU PRÊTEUR DE DENIERS AFIN DE FACILITER LES FINANCEMENTS DES OPÉRATIONS
IMMOBILIÈRES FAMILIALES
Les opérations
immobilières familiales mêlant ventes et partages posent des difficultés de
qualification juridique aux banques. Par manque de compréhension et recherche
de sécurité, celles-ci privilégient l'hypothèque conventionnelle, plus coûteuse
en raison de la taxe de publicité foncière, ce qui renchérit le crédit et
complique le dénouement d'opérations souvent sensibles.
Le 121e Congrès propose
de moderniser l'hypothèque légale du prêteur de deniers afin qu'elle puisse
garantir indifféremment ventes et partages, simplifiant ainsi les financements
et réduisant le recours à l'hypothèque conventionnelle.
FACILITER LES SORTIES
DE CRISE FAMILIALE ET SURMONTER LES BLOCAGES RENCONTRES DANS LE PARTAGE
JUDICIAIRE
En 2023, plus de 10 700
recours auprès de la justice par des héritiers ou des ex-époux ne s'accordant
pas (partage judiciaire) ont été enregistrés, avec un délai moyen de traitement
de près de 26 mois. Cette procédure, dernier recours en cas d'échec d'un
règlement amiable, souffre de lourdeurs, d'un manque de clarté des textes et de
blocages fréquents liés à la défaillance d'indivisaires (personnes partageant
des droits) ou au défaut de coopération dans la communication des preuves.
Le 121e Congrès propose
de réformer la procédure de partage judiciaire pour en accélérer le
déroulement, en renforçant les pouvoirs du notaire commis, l'obligation de
loyauté des parties et la sécurité juridique de la mission notariale.
Commission 3 : Le décès
au sein de la famille
POUR LA SUPPRESSION DE
LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE DU CONJOINT SURVIVANT
(Le conjoint non divorcé, déshérité en tout ou partie)
Créée en 2001 et
maintenue en 2006, la réserve du conjoint survivant est un droit récent, qui
lui garantit un quart en pleine propriété en l'absence de descendance. Ce droit
discriminant, parfois illogique est difficile à justifier quand il fragilise la
réserve des descendants et peut conduire à des situations paradoxales, comme
encourager le divorce pour contourner ses effets.
Le 121e Congrès propose
la suppression pure et simple de la réserve héréditaire du conjoint survivant,
par l'abrogation de l'article 914-1 du Code civil.
POUR UNE SUPPRESSION
DES DROITS DE RETOUR LÉGAUX
Le bien donné à un
enfant revient au parent si l'enfant meurt sans descendance. Ce droit de retour
légal instauré en 2001 (au profit des frères et sœurs) et en 2006 (au profit
des père et mère) créent des « successions anomales », sources d'incertitudes et
de contentieux. Il manque son objectif de conservation des biens dans la
famille, entraîne des indivisions complexes et soulève des difficultés
d'interprétation, notamment quant à leur articulation avec le conjoint
survivant ou le droit de retour conventionnel.
Le 121e Congrès propose
de supprimer les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du Code
civil, et de les remplacer par une créance alimentaire au profit des ascendants
privilégiés, afin de simplifier les successions et sécuriser les transmissions.
POUR LA CRÉATION D'UN
PACTE DE FAMILLE DE GEL DES VALEURS
Alors qu'on héritait en
moyenne à 30 ans en 1920, on hérite aujourd'hui bien souvent à l'approche de la
retraite. Si la donation-partage permet de « geler » la valeur des biens
transmis pour sécuriser l'équilibre successoral, son champ reste limité. Les autres
outils (donation simple, rapport forfaitaire) laissent subsister des
difficultés et des contentieux potentiels.
Le 121e Congrès propose
suggère de créer un accord de famille pour figer la valeur des biens au moment
de leur transmission afin de sécuriser les transmissions et d'éviter les
réévaluations sources de conflits successoraux.
POUR LA CONSÉCRATION
D'UNE GÉRANCE SUCCESSIVE
(Passage de la
direction d'une entreprise)
Le décès d'un dirigeant
de société peut plonger l'entreprise dans le chaos, en privant immédiatement la
structure de toute gouvernance opérationnelle et en déclenchant parfois des
conflits successoraux. Bien que la pratique de la « dévolution de gérance »
permette d'anticiper la succession du dirigeant dans les statuts, son
application reste fragile et juridiquement incertaine.
Le 121e Congrès propose
de consacrer légalement le passage de la direction (ou « dévolution de gérance
») dans les SCI, SARL, SNC et SAS, afin de sécuriser la continuité de la
gouvernance et de protéger entreprises et salariés.
POUR UN DROIT AUX
DIVIDENDES DES HÉRITIERS ET AYANTS DROIT EN ATTENTE D'AGRÉMENT
Les statuts de société
civile peuvent stipuler que la transmission des parts sociales par décès est
soumise à l'agrément permettant aux associés de choisir les continuateurs du
projet sociétaire. Dans les sociétés civiles dont les statuts comportent une clause
d'agrément en cas de décès, les héritiers de l'associé décédé n'ont
actuellement aucun droit sur les dividendes distribués avant leur agrément
éventuel. Cette situation peut les priver de la valeur patrimoniale attachée
aux parts sociales, créant un déséquilibre au profit des associés survivants.
Le 121e Congrès propose
de consacrer le droit des héritiers en attente d'agrément à percevoir les
dividendes distribués entre le décès et la décision d'agrément, afin de
rétablir l'équité patrimoniale.
Proposition commune
POUR UNE DÉCLARATION DE
BEAU-PARENTALITÉ
Près de 1,5 million
d'enfants vivent aujourd'hui en France dans des familles recomposées. Le
beau-parent occupe une place croissante, entre simple tiers et « parent social
», mais son rôle demeure juridiquement fragile. L'adoption, souvent inadaptée,
reste le seul outil de reconnaissance de ce lien électif.
Le 121e Congrès propose
de créer une déclaration de beau-parentalité notariée, facultative, permettant
de formaliser ce lien et de lui donner des effets juridiques, notamment en
matière successorale et patrimoniale.
Le livret despropositions du 121e Congrès des notaires de France


