Une enquête inédite de l’Institut Terram et du Laboratoire de la République, administrée par l’Ifop auprès de 10 000 Français.

La démocratie
municipale connaît aujourd’hui une érosion multiforme : raréfaction des
candidatures, abstention, usure et isolement des élus, inégal accès selon le
genre, la classe sociale et le territoire. Jadis creusets civiques, les
conseils municipaux butent sur des freins cumulatifs – charge temporelle,
inflation normative, déficit de reconnaissance – qui en hypothèquent le
renouvellement. L’analyse révèle une mosaïque de vulnérabilités, différenciées
selon la morphologie territoriale, et une crise du mandat lui-même.
Un potentiel
d’engagement sous-exploité
Malgré des signes
d’essoufflement, un réservoir civique perdure : près d’un quart des citoyens
(24 %) se déclarent prêts à se présenter sur une liste en 2026, une proportion
stable depuis une vingtaine d’années. Cependant, seuls quelques-uns semblent
prêts à passer de l’intention à la candidature effective. Les principaux freins
sont le manque de temps (42 %), la lourdeur administrative (41 %), le sentiment
d’incompétence (39 %), la difficulté à concilier engagement et vie familiale
(38 %), le climat politique local tendu (36 %), le manque de reconnaissance de
l’engagement municipal (33 %) et la crainte d’un impact négatif sur la carrière
(19 %).
Une crise démocratique
à géographie variable
La crise de
l’engagement n’est pas uniforme. Dans les communes rurales, en particulier
celles de moins de 1 000 habitants (plus de 60 % des communes françaises), les
difficultés à renouveler les listes sont les plus aiguës. Les jeunes quittent
massivement ces territoires, tandis que ceux qui restent hésitent à s’engager
dans des fonctions exigeantes, peu rémunérées et chronophages. À l’inverse,
dans les grandes villes, l’engagement s’apparente souvent à la défense de
causes spécifiques mais reste freiné par le manque de temps (52 % des habitants
des métropoles) et la complexité institutionnelle.
Des freins genrés et
sociaux persistants
Les femmes ne
représentent qu’environ 20 % des maires et, dans les communes de moins de 1 000
habitants, elles n’occupent qu’un tiers des sièges de conseiller municipal.
Seules 17 % des femmes interrogées se disent prêtes à envisager une candidature
aux élections municipales de 2026, contre 31 % des hommes. Plusieurs freins
majeurs expliquent cet écart, en particulier la difficulté à concilier
engagement politique, vie professionnelle et charge familiale (46 % des femmes
évoquent un manque de temps dans un quotidien déjà chargé, contre 39 % des
hommes), mais aussi un sentiment de moindre légitimité (43 % des femmes
estiment ne pas avoir les compétences suffisantes, contre 34 % des hommes).
Sur le plan social,
l’accès à la fonction municipale demeure biaisé : 19 % des agriculteurs, 12 %
des commerçants ou artisans ont déjà été élus, contre seulement 6 % des
employés. Le sentiment d’exclusion, la complexité du langage politique local et
la faible valorisation des parcours populaires participent à l’autocensure.
Néanmoins, la participation associative ou religieuse joue un rôle décisif :
plus d’un quart des Français issus de l’immigration extra-européenne ont déjà
été élus (27 %), contre 8 % des natifs de parents français. De même, 24 % des
personnes de confession juive ou musulmane, 21 % des protestants et 16 % des
catholiques pratiquants déclarent avoir déjà été membres d’un conseil
municipal, contre 8 % chez les catholiques non pratiquants et seulement 7 %
chez les Français sans appartenance religieuse.
Les jeunes, enfin,
expriment un désir d’engagement supérieur à la moyenne (29 %, contre 19 % chez
les 65 ans et plus), mais rencontrent des obstacles spécifiques : précarité du
logement, absence de réseau, incompatibilité avec l’emploi et la vie familiale.
Ils sont donc moins enclins à vouloir s’impliquer durablement dans la vie
locale : seuls 35 % d’entre eux souhaitent être davantage associés aux
décisions communales, contre 41 % chez les aînés.
Une promesse
républicaine en recul
Le modèle républicain
de la commune comme premier échelon de la citoyenneté s’effrite. L’accès au
mandat et, surtout, ses conditions d’exercice sont de plus en plus
inégalitaires : surcharge administrative (principal obstacle cité par 41 % des
répondants et 46 % des élus en poste), manque de relais institutionnels,
faiblesse de l’indemnisation (particulièrement dans les petites communes),
usure démocratique face à la défiance et à la violence croissante. Plus de 13
000 démissions d’élus ont été enregistrées en 2023, un chiffre en hausse
continue. Dans les territoires les plus enclavés, les élus assument des
fonctions de gestion, de médiation, d’assistance sociale qui dépassent
largement leur mandat initial.
Les ressorts d’un
rebond démocratique
Malgré ce tableau
préoccupant, des motifs d’espoir subsistent. Le premier moteur d’engagement
demeure le désir d’être utile à la commune : près d’un Français sur deux cite
le souhait de changer les choses de l’intérieur (47 %) et de contribuer
concrètement à la vie locale (45 %). La possibilité de faire entendre la voix
des oubliés (46 %), l’envie de faire contrepoids à des décisions jugées
injustes (44 %), la volonté de représenter un collectif ou une génération (29
%) ou d’acquérir des compétences nouvelles (28 %) participent aussi de la
dynamique d’engagement. Le sentiment d’efficacité politique et la
reconnaissance du mandat sont également des leviers puissants.
Trois futurs pour la
démocratie locale
• Le délitement progressif : tarissement du vivier
civique, multiplication des listes uniques, abstention record et
marginalisation du conseil municipal au profit de l’intercommunalité et de la
technocratie ;
• La rationalisation technocratique : transformation des
conseils municipaux en chambres d’enregistrement, montée en puissance de la
gestion professionnelle et de la démocratie numérique, mais éloignement du
pouvoir et perte du lien de proximité ;
• La refondation civique : revalorisation
statutaire et symbolique du mandat, soutien aux listes citoyennes,
simplification administrative, diversification des formes d’engagement, et
ancrage d’une démocratie participative vivante et inclusive.
Cinq axes pour
revivifier la démocratie municipale
1. Valoriser le mandat municipal : reconnaissance
sociale, intégration du mandat dans les parcours professionnels, meilleure
visibilité médiatique, campagnes d’information, bonification dans les concours
de la fonction publique.
2. Réduire les barrières d’entrée : simplifier les
démarches, développer la formation et l’accompagnement des candidats, renforcer
les dispositifs de mentorat et de soutien logistique.
3. Encourager la participation sous toutes ses
formes :
soutien aux listes citoyennes, innovation démocratique (jurys citoyens, budgets
participatifs…), implication des jeunes et des publics éloignés de la vie
politique.
4. Recréer l’écosystème civique local : densification du tissu
associatif, liens intergénérationnels, coopération entre collectivités,
universités et acteurs de la société civile.
5. Rééquilibrer les pouvoirs locaux : renforcer l’autonomie
et la clarté des responsabilités, garantir des ressources suffisantes,
promouvoir la proximité et la responsabilité démocratique.


