Le point de vue de Vincent Victor, Directeur Commercial Pôle Transaction
chez Orisha Real Estate
Dans un marché immobilier marqué par une baisse de 15% des transactions selon les dernières données des Notaires de France, et des perspectives encore floues pour 2025, la question se pose avec une acuité toute particulière : à quoi sert réellement un agent immobilier aujourd'hui ?
Entre les plateformes de mise en relation
directe, les critiques récurrentes sur les niveaux de commission et la défiance
d'une partie des Français, le métier traverse une période charnière qui mérite
une analyse approfondie.
Au-delà des idées
reçues : la vraie valeur ajoutée de l'agent immobilier
Si le rôle traditionnel
de l'agent immobilier consistait à rapprocher l'offre et la demande via un
carnet d'adresses bien garni, cette fonction s'est considérablement enrichie
face aux évolutions sociétales et technologiques. Selon les dernières études de
la FNAIM, les transactions accompagnées par un professionnel se concluent en
moyenne 30 jours plus rapidement que celles initiées entre particuliers.
L'explication tient en
trois points fondamentaux souvent méconnus du grand public :
1. Une expertise locale irremplaçable
Contrairement à ce que
l'on pourrait penser, l'accès généralisé aux données immobilières n'a pas rendu
obsolète l'expertise locale. Au contraire, face à l'inflation informationnelle,
le professionnel apporte un décryptage essentiel. Il connaît l'historique des
transactions dans une rue précise, les projets d'urbanisme à venir, les
spécificités d'une copropriété... Cette micro-expertise territoriale représente
une valeur considérable pour éviter les erreurs d'appréciation, tant pour les
vendeurs que pour les acquéreurs.
2. Une sécurisation juridique plus que jamais nécessaire
Avec une réglementation
immobilière qui s'est complexifiée ces dernières années (nouveaux diagnostics
obligatoires selon l'ADEME, encadrement des loyers, réglementation DPE),
l'agent joue désormais un rôle de gardien juridique. D'après les dernières données
du baromètre CLCV, près de 40% des transactions entre particuliers présentent
au moins une irrégularité documentaire potentiellement préjudiciable. Le
professionnel assume aujourd'hui une responsabilité considérable dans la
sécurisation contractuelle qui justifie pleinement sa rémunération.
3. Un accompagnement humain, souvent sous-estimé
Peut-être le plus
méconnu des rôles de l'agent : il est devenu un médiateur, parfois un
confident, souvent un psychologue. Dans une période où l'immobilier cristallise
anxiétés financières et projections personnelles, l'agent accompagne des
moments de vie cruciaux. Il désamorce les tensions entre vendeurs et
acquéreurs, rassure face aux incertitudes, et transforme des négociations
potentiellement conflictuelles en accords équilibrés. Cette dimension humaine,
que 76% des clients qualifient d'importante selon les récentes enquêtes
OpinionWay pour le Conseil National de la Transaction et de la Gestion
Immobilières, ne pourra jamais être digitalisée.
L'agent immobilier à
l'ère post-digitale : hybridation et nouvelle valeur
Le débat "digital
versus humain" est désormais dépassé. Nous entrons dans l'ère de
l'hybridation où la technologie renforce l'humain plutôt que de le remplacer.
Les agents qui réussissent aujourd'hui sont ceux qui ont intégré le meilleur
des outils numériques pour se recentrer sur leur vraie valeur ajoutée.
Les récentes études
publiées par l'Université Paris-Dauphine en collaboration avec le Crédit
Foncier démontrent que les agences ayant pleinement adopté la transformation
digitale enregistrent une productivité supérieure de 25% par rapport à celles
restées dans un mode traditionnel. Cette performance ne provient pas d'une
automatisation déshumanisante, mais au contraire d'une libération du temps
agent pour des missions à forte valeur.
Le nouvel agent
immobilier peut consacrer davantage de temps au conseil stratégique patrimonial
et à l'accompagnement personnalisé, tandis que les tâches administratives et
répétitives sont optimisées par des solutions technologiques adaptées.
Une rémunération à la
hauteur des responsabilités
La question de la commission cristallise souvent les critiques. Pourtant, lorsqu'on analyse objectivement la chaîne de valeur, la rémunération du professionnel apparaît justifiée. Un agent engage sa responsabilité professionnelle sur des transactions dont le montant moyen atteint désormais plus de
250 000€ d'après
les dernières statistiques des Notaires de France, assume une charge
administrative considérable, et doit maîtriser un corpus juridique et technique
en constante évolution.
Selon les analyses
récentes du cabinet Xerfi, un bien accompagné par un professionnel se vend en
moyenne 3% plus cher qu'entre particuliers – soit généralement équivalent à la
commission pratiquée. Cette performance s'explique par la capacité de valorisation,
de négociation et de sécurisation qu'apporte le professionnel.
Une question culturelle
: la valorisation du service immobilier à l'international
La perception de la
valeur du service immobilier varie considérablement selon les cultures. Dans
les pays anglo-saxons (États-Unis, Royaume-Uni, Canada), le recours à un agent
immobilier est une évidence pour plus de 90% des transactions selon les derniers
rapports de la National Association of Realtors. Cette confiance s'accompagne
d'une reconnaissance explicite de la valeur ajoutée du professionnel, avec des
commissions moyennes de 5 à 6% rarement contestées par les clients.
À l'inverse, la France
entretient un rapport plus ambivalent au service. Notre culture valorise
traditionnellement le "faire soi-même" et maintient une certaine
méfiance envers l'intermédiation professionnelle. Les récentes études
comparatives internationales du cabinet EY révèlent que les agents immobiliers
français consacrent en moyenne 30% plus de temps à justifier leur valeur que
leurs homologues britanniques ou américains.
Cette spécificité
culturelle française place le professionnel dans une position paradoxale :
alors que son expertise n'a jamais été aussi nécessaire face à la
complexification du marché, il doit constamment démontrer sa légitimité. C'est
pourquoi les agents français ont développé une capacité unique d'adaptation et
d'accompagnement personnalisé, faisant de nécessité vertu. La résilience du
modèle français, qui a su résister à la digitalisation massive contrairement
aux prédictions, prouve d'ailleurs la pertinence de cette approche où
l'expertise se gagne et se prouve à chaque transaction.
L’indispensable
transformation d'un métier essentiel, pas une disparation
En conclusion, le
ralentissement actuel du marché, loin d'annoncer la fin du métier d'agent
immobilier, marque plutôt sa nécessaire transformation. Les agents qui
survivront à cette période charnière seront ceux qui auront su redéfinir leur
proposition de valeur autour de l'expertise locale irremplaçable, de la
sécurisation juridique et de l'accompagnement humain, tout en s'appuyant sur
des outils technologiques performants.
Je suis convaincu que
l'avenir appartient à ces professionnels hybrides, experts humains augmentés
par la technologie, capables d'apporter une valeur unique dans des transactions
toujours plus complexes et chargées d'émotion.
Car si Internet peut mettre en relation des acheteurs et des vendeurs, seul un professionnel bien formé et bien équipé peut transformer cette rencontre en une transaction réussie, sécurisée et humainement satisfaisante pour toutes les parties.