L'analyse d'Emilie Meridjen, Avocat associée en charge du
département droit social au sein du cabinet d’avocats d’affaires Sekri Valentin
Zerrouk et conseiller prud’homal
Dans le rapport de
force employeur/salariés, ces derniers ont de tout temps profité de failles
juridiques pour essayer d’alourdir substantiellement le « chèque » de départ.
Le doute profitant au salarié, à part quelques cas justifiés, la stratégie
contentieuse repose souvent sur l’incapacité de l’employeur à prouver ce qu’il
avance. La nature humaine est ce qu’elle est mais le droit essaye toujours de
protéger davantage David que Goliath.
Aujourd’hui : les
risques financiers autour du forfait jour
A l’employeur à qui les
cadres demandent plus de télétravail, plus de souplesse et de flexibilité dans
les horaires de travail, particulièrement lorsqu’ils sont au forfait jour, ces
derniers, lors de leur départ, n’hésitent pas à reprocher audit employeur
d’avoir été trop laxiste dans le suivi du temps de travail, en leur faisant
confiance. Ainsi les conseils de prud’hommes regorgent d’affaires portant sur
la contestation de la validité du forfait jour du fait d’un suivi insuffisant
de la charge de travail. Le cadre aujourd’hui licencié se plaint de ne pas
avoir dû pointer comme un ouvrier dans une usine… écrasé qu’il était par le
poids du nombre d’heures effectivement travaillées dans son salon, ou dans son
lit ….
Cet argument fallacieux
se retrouve dans l’écrasante majorité des dossiers en encadrement aux
prud’hommes !
L’IA : la prochaine
vague de contentieux
Les salariés vont
inévitablement se voir confronter plus ou moins rapidement à l’impact quotidien
de l’IA sur leur manière de travailler, d’interagir et de s’organiser dans
l’entreprise. Certains postes risquent d’être profondément modifiés, sans
nécessairement que les fiches de postes associées ne soient mises à jour ni que
les salariés n’aient été formés à leurs nouvelles fonctions. Demain, un poste
de travail pourrait se partager entre un humain et une intelligence
artificielle ! Les conséquences en termes de droit du travail sont nombreuses
et risquent d’impacter l’ensemble des pans de la relation de travail. Autant de
leviers de contestation à venir en cas de conflit aux prud’hommes. Si l’IA est
un outil efficace, elle constitue pour l’employeur une menace de contentieux
très importante car elle rebat les cartes, notamment, de la définition des
responsabilités, de la structure des contrats de travail voire de la
rémunération des salariés, de la propriété intellectuelle, de la sécurité des
données (surtout si le salarié utilise son IA personnel) … Autant de sujets à
préempter dès à présent pour les employeurs.
L’IA bouleverse
totalement la politique RH des entreprises
Si une entreprise ne
change rien à sa politique RH actuelle, elle va dans le mur et s’expose à des
risques de condamnations majeurs dans les mois à venir !!
Tous les employeurs
vont devoir définir des règles d’usage de l’IA, organiser le dialogue social
sur ce sujet, repenser la gestion prévisionnelle des emplois, modifier les
règlements intérieurs, chartes et accords, renforcer les clauses des contrats
de travail de leurs salariés … en clair, repenser leur politique RH au travers
du prisme des impacts de l’IA dans leur organisation de travail.
L’IA : vigilance sur la
santé des salariés
L’IA est censée, dans
une large mesure, soulager les salariés des tâches répétitives pour leur
permettre de s’épanouir sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Si du point
de vue de la santé physique, les bénéfices semblent évidents, il existe en revanche
une attention toute particulière à porter sur la gestion du stress. 3
travailleurs sur 4 affirment avoir remarqué une hausse de la cadence après
l’intégration d’un système d’IA à leur activité. Pour certains, l’IA va
quasiment devenir un donneur d’ordre qui viendra suppléer partiellement le
manager. Pour la rendre supportable, l’intelligence artificielle doit se
coupler à une intelligence émotionnelle.
En conclusion, l’IA va impacter tous les pans du droit y compris le droit du travail. L’erreur serait de croire qu’il faudrait rajouter seulement 2 lignes sur un contrat de travail pour être protégé. Toute la politique RH de l’entreprise doit être revue pour faire face à ce nouveau paradigme. Aux salariés et aux employeurs de faire preuve d’intelligence !