C’est un sujet
délicat mais qui reste primordial pour les entreprises : quid d’une entreprise,
de son fonctionnement, de ses salariés, des héritiers du fondateur… si par
malheur le dirigeant vient à disparaître soudainement ? Comment faire face ?
Comment bien se préparer à cette éventualité ?
Un décryptage à deux
voix des experts Sadec Akelys :
- Bénédicte Barré
Expert-Comptable
et Directrice Associée - Bureau de Sens : Comment bien préparer sa
succession ?
- Stéphane Labrosse
Directeur
Associé / Bureau de Bourgoin avec la participation de Benedict Buisson, PDG de
Jieldé : Comment faire face à une succession non préparée ?
Selon la législation,
toute entreprise rentre dans l’actif successoral, il est donc important pour un
chef d’entreprise, au même titre que pour ses biens personnels, d’anticiper !
Car si rien n’a été préparé, la société se retrouvera bloquée sur tout le temps
de la succession et c’est la législation qui déterminera les héritiers et leurs
parts dans la succession ; sans oublier qu’ici la question se posera alors de
savoir si le ou les héritiers sont aptes à poursuivre l’activité de la société.
QUAND ET COMMENT BIEN
PRÉPARER SA SUCCESSION ?
Bénédicte Barré explique : « Le meilleur moment reste bien quand le chef d’entreprise
se sent prêt ! Même si dans le cadre de l’optimisation des droits successoraux
il reste opportun de s’y prendre tôt ».
Cependant, si certains
parviennent à anticiper et prévoir, dans la majorité des cas les
experts-comptables sont malheureusement contactés après le décès de leur client
pour transmettre les informations au notaire. Et certains clients ne souhaitent
tout simplement pas préparer la transmission car pour eux c’est forcément
significatif de leur décès prochain.
Enfin, pour bien
préparer sa succession, Il faut avoir une vue globale du patrimoine afin de
choisir le meilleur montage et certains clients ne souhaitent pas forcément que
leur expert-comptable ait accès à leur patrimoine privé.
QUELLES SONT LES
GRANDES ÉTAPES ?
Les experts-comptables
peuvent conseiller leur client sur les différentes solutions et montages
financiers adaptés mais dans le cadre d’une transmission, il faut
nécessairement intégrer un notaire (pour la rédaction des donations, par
exemple).
« Dans tous les cas je
demande au client que nous fassions un rendez-vous avec son notaire pour
évoquer les points abordés ensemble et trouver la solution la plus adaptée en
fonction des attentes et besoin de chacun. Nous ne traitons jamais deux
dossiers de la même façon. Et si le dossier est bien préparé en amont, lorsque
nous arrivons chez le notaire, il n’y a « plus qu’à » faire le partage ».
UN CHEF D’ENTREPRISE
PEUT-IL TRANSMETTRE SON BIEN DE SON VIVANT ?
C’est tout à fait
possible mais cela reste très complexe car il peut donner/céder sa société, son
fonds de commerce… en totalité, en démembrement, ou encore poursuivre ou non
son activité après la cession (il peut transmettre à ses enfants qui vont poursuivre
l’activité par exemple).
Cette situation ne
change rien au fonctionnement de la société qui poursuit alors son activité
avec un autre dirigeant. Dans le cas de transmission de la nu propriété, c’est
transparent pour les tiers. Le but est qu’au jour du décès la société revienne
aux héritiers sans droit de succession.
QUELS SONT LES RISQUES
SI LA SUCCESSION N’A PAS ÉTÉ ANTICIPÉE ?
« Nous le vivons dans
notre quotidien et dans ce cas, la société ou l’entreprise est bloquée à la
date du décès, les comptes bancaires sont figés : les créanciers ne sont plus
payés, les éventuelles commandes clients, chantiers en cours…. ne sont pas honorés.
Il faut alors nommer un représentant pour pouvoir poursuivre le temps de la
succession. Libre ensuite aux héritiers de décider de vendre, de liquider ou de
poursuivre l’activité.
Les salariés se retrouvent sans travail ni salaire le temps que les héritiers puissent relancer l’activité ou lancer les licenciements ».
QUELS SONT LES CONSEILS
DE L’EXPERT-COMPTABLE POUR ÉVITER CES SITUATIONS ?
« À mon sens, il est
primordial d’anticiper et de préparer cette étape ; que ce soit pour optimiser
les droits de succession comme pour permettre la poursuite de l’activité. En
effet, sans même parler de transmission, si un mandat à effet posthume a été contracté,
il permet de désigner une personne responsable de la gestion de l'entreprise en
cas de décès. Cela évitera ainsi tous les désagréments d’un blocage de la
société comme évoqué juste avant lui interdisant toute activité et pénalisant
l’ensemble de ses parties-prenantes (salariés, fournisseurs, clients…). Sans
préparation en amont, la cession ou la liquidation sont les risques majeurs
encourus par les entreprises » conclut Bénédicte Barré.
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Jieldé : La reprise au
pied levé d’une entreprise familiale
COMMENT FAIRE QUAND ON
EST SUBMERGE PAR LE CHAGRIN ET QUE L’ON NE S’ETAIT ABSOLUMENT PAS IMAGINE EN
CHEFFE D’ENTREPRISE ?
Jieldé, l’entreprise de
la lampe articulée née à Lyon en 1952 a toujours été dirigée par des familles.
Créée par Jean-Louis Domecq (Jieldé), sa fille, Marie-Françoise, en assure la
continuité de sa mort en 1983 jusqu’en 2002, l’année où Jieldé est cédée à
Philippe Bélier. Lorsque celui-ci disparaît soudainement en novembre 2023,
c’est Bénédict Buisson sa fille, architecte d’intérieur de formation, qui en a
repris les rênes au pied levé.
« Quand notre père est
décédé subitement, il a fallu rapidement prendre une décision. Papa était à la
tête depuis 25 ans, on était trop attachés à Jieldé pour laisser tomber
l’équipe. On n’a pas hésité. Mais rien n’était programmé. » Elle reprend le poste
de PDG et son frère reste actionnaire, mais n’agit pas dans l’entreprise.
Cette transmission
soudaine a pourtant été gérée avec tact et bienveillance grâce à la présence de
Stéphane Labrosse. Directeur Associé du
cabinet de Sadec Akelys Bourgoin, il a accepté de revenir pour nous sur cette
période délicate qui peut surgir dans la vie d’une entreprise.
QUEL EST LE ROLE DE
L’EXPERT-COMPTABLE DANS DES MOMENTS COMME CEUX-LA ?
Un expert-comptable
accompagne la vie de l’entreprise, dans toutes ses étapes. C’est le conseiller
au quotidien du chef d’entreprise qui devient souvent un compagnon de route.
Quand Philippe Bélier est décédé subitement, c’est plus qu’un client que j’ai perdu.
Mais il a tout de suite fallu mettre la peine de côté pour accompagner la
famille qui n’était bien entendu pas préparée à gérer cette transmission
d’entreprise.
Pour Jieldé, j’ai
immédiatement eu la confiance de la famille pour prendre les choses en main sur
le plan juridique et administratif. Il a fallu organiser une Assemblée Générale
extraordinaire pour réunir les actionnaires et échanger avec eux en toute franchise.
J’ai présenté les différentes options possibles pour ensuite les orienter vers
la solution la plus pertinente : que Bénédict reprenne l’entreprise et que je
l’accompagne dans cette transmission avec bienveillance et transparence sans
minimiser les risques et les étapes à franchir.
S’il n’y a pas
d’héritiers désignés, c’est le rôle de l’expert-comptable d’assurer la gestion
courante de l’entreprise ou de prendre contact avec le Tribunal de Commerce
pour nommer un administrateur s’il n’y pas d’héritiers identifiés. Il existe
aussi la possibilité d’un mandat à titre posthume qui ne remplace pas le
testament mais qui permet de pouvoir signer à la place du défunt. La nomination
passe ensuite par le greffe du Tribunal de Commerce et la publication d’une
annonce légale gérée par l’EC. Cela donne officiellement pouvoir aux nouveaux
dirigeants.
COMMENT AGIR DANS CES
MOMENTS DE SUCCESSION SOUDAINE ? QUELS SONT LES OBSTACLES A EVITER ?
Il faut rester professionnel malgré un contexte très émotionnel. Il faut se plonger dans les comptes de l’entreprise, s’assurer de sa bonne santé et rassurer les équipes sur la suite à donner. Il faut éviter de verser dans le trop-plein d’émotions, il faut savoir garder une certaine distance pour piloter l’entreprise aux cotés des nouveaux dirigeants. L’obstacle majeure est le temps qui passe car l’entreprise ne s’arrête pas de fonctionner. Il faut continuer à diriger l’entreprise, arbitrer des investissements, payer les salaires. Notre rôle est bien de pérenniser la vie de l’entreprise quand elle est saine ou au contraire de savoir prendre la bonne décision pour fermer le chapitre de la société si on se rend compte que ce ne sera plus tenable.