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Taxe sur les dividendes : 6 milliards à rembourser pour l'Etat !

Décryptage de Maître René-Pierre Andlauer, Avocat associé au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel sur les enjeux de l’inconstitutionnalité de la contribution de 3% sur les revenus distribués.

Le 6 octobre, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision attendue sur la non-conformité à la Constitution de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués. Au moment où le projet de loi de finance est débattu à l’Assemblée nationale, cette décision est au cœur de l’actualité en raison, notamment, de ses conséquences financières considérables.


Qu’est-ce que la « Taxe sur les dividendes » ?

La contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués plus communément appelée « taxe sur les dividendes » a été instaurée, dans les premiers mois du quinquennat de François Hollande, à l’occasion de la loi de finance rectificative pour 2012 dans le but de compenser, déjà, le manque à gagner pour l’Etat résultant d’une décision de la Cour de Justice de l’UE (« CJUE »), invalidant un mécanisme, hérité de la majorité précédente, de retenue à la source appliqué par la France aux revenus distribués à des OPCVM étrangers. A l’époque, cette décision de la CJUE avait déjà eu un certain écho en raison des enjeux financiers considérables, qui s’élevaient alors à … 4,9 Mds€.

En instaurant cette taxe, « conçue comme un impôt de rendement », selon les termes mêmes du Conseil constitutionnel, le Gouvernement de l’époque entendait donc trouver les fonds nécessaires pour compenser le mécanisme invalidé mais aussi inciter les entreprises à réinvestir leurs bénéfices plutôt qu’à les distribuer.

Le principe de la « taxe sur les dividendes » était simple : les distributions de dividendes donnent lieu au paiement, par la société distributrice, d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés égale à 3% du montant des revenus distribués. Cette taxe avait une vocation universelle en frappant toutes les distributions de dividendes quelle que soit l’origine des sommes prélevées, vocation que le Conseil constitutionnel n’a pas oubliée au moment de prendre sa décision.

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Pourquoi la « Taxe sur les dividendes » est-elle contraire à la constitution ?

La « taxe sur les dividendes » fait débat depuis son instauration en 2012 (notamment sur sa compatibilité avec les engagements internationaux de la France, et entre autres l’application de la directive mère-filiale, ou sur l’exonération des seuls dividendes entre sociétés intégrées fiscalement, créant une distinction purement fiscale pour des situations identiques, une détention capitalistique supérieure à 95%). La décision n° 2017-660 du Conseil Constitutionnel ne constitue donc que le point final d’une longue série de contentieux.

Ainsi, suite à divers recours sur des fondements variés devant les juridictions de l’ordre administratif, le 30 septembre 2016, le Conseil constitutionnel a eu à censurer une première fois ce dispositif. La décision n° 2016-571 QPC portait sur l’inégalité de traitement que faisait naitre l’exonération des distributions entre seules sociétés d’un groupe intégré fiscalement. Le législateur avait alors été amené à modifier la loi en conséquence et élargir le champ de l’exonération.

Parallèlement, la Commission européenne avait au terme d’une procédure d’infraction émis en février 2015 une mise en demeure portant sur la contrariété vraisemblable de la taxe sur les dividendes à la directive mère-fille et à la liberté d’établissement.

Fort logiquement, ces éléments ne pouvaient que conduire les contribuables à poursuivre leurs assauts contre la taxe sur les dividendes. C’est donc à la suite de nouvelles requêtes que le Conseil d’Etat a décidé de transmettre une question préjudicielle à la CJUE qui devait apprécier la conformité à la directive mère-fille d’une imposition des dividendes perçus de filiales européennes lorsqu’ils faisaient l’objet d’une redistribution.

La CJUE dans sa décision en date du 17 mai 2017 a jugé que la directive dite « mère-fille » n° 2011/96/UE du 30 novembre 2011 s’oppose à l’application de la « taxe sur les dividendes » sur les redistributions opérées par une société mère française de dividendes perçus de filiales établies dans d’autres Etats membres de l’Union Européenne.

En effet, aux termes des dispositions de l’article 4 de cette directive, l’imposition des dividendes distribués par une filiale d’un Etat membre à sa société mère situé dans un autre Etat membre ne peut excéder 5% du montant des bénéfices distribués. Or, cette contribution de 3% conduisait mécaniquement à dépasser ce plafond de 5% déjà atteint avec l’imposition d’une quote-part de frais et charges de ce montant en cas de distribution de dividendes.

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Dès lors, cette décision conduisait en Droit français à distinguer a priori selon que les distributions portaient sur des bénéfices provenant (i) de filiales européennes, lesquelles ne pouvaient plus se voir appliquer la contribution de 3% en application de la décision de la CJUE, (ii) de sociétés établies en France ou dans un Etat tiers à l’UE ou (iii) de leur propre profit d’exploitation, étant précisé que, dans ces deux dernières situations, la contribution de 3% demeurait applicable.

A la suite de cette décision de la CJUE, des contribuables ont déposé une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité à l’appui des recours pendants devant le Conseil d’Etat. Ce dernier a donc saisi le Conseil Constitutionnel et l’a invité à se prononcer sur une atteinte au principe d’égalité résultant de la différence de traitement au regard de la contribution de 3%, selon l’origine des sommes distribuées.

Le Conseil Constitutionnel a répondu à cette question dans sa décision du 06 octobre dernier et considéré que l’objectif de rendement ayant conduit à l’instauration de cette taxe « ne constitue pas, en lui-même, une raison d'intérêt général de nature à justifier la différence de traitement instituée entre les sociétés mères qui redistribuent des dividendes provenant d'une filiale établie dans un État membre de l'Union et celles qui redistribuent des dividendes provenant d'une filiale établie en France ou dans un État tiers à l’UE ». En conséquence, il en a conclu que la contribution en question est contraire aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques.


Quelles conséquences pour les sociétés soumises à m’impôt sur les sociétés ?

Suite à cette décision, les sociétés qui ont eu à verser cette contribution de 3% par le passé ont la possibilité d’en demander le remboursement, dans les limites toutefois des règles de prescription.
En effet, si la censure de la contribution de 3% est valable pour toute la période d’existence de la taxe, soit depuis 2012, les sociétés ont en pratique jusqu’au 31 décembre prochain pour demander le remboursement de la taxe versée au cours des exercices 2015 à 2017 en adressant une réclamation au directeur des Finances publiques du centre des impôts compétents, les exercices 2012, 2013 et 2014 étant d’ores et déjà prescrits.

Au-delà du remboursement même des sommes versées au titre de cette taxe, les sociétés peuvent également obtenir le paiement d’intérêts moratoires sur ces sommes, au taux de 4,80% par an.

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Au final, il pourrait s’agir, en théorie au moins, d’un bon placement pour les sociétés… sauf qu’a priori ces mêmes sociétés ou une partie d’entre elles vont devoir supporter les conséquences des erreurs de gouvernements successifs et payer tout ou partie de la « facture » fiscale de cette invalidation, cette dernière se révélant conséquente.

Quelles conséquences pour l’Etat ?

Le Gouvernement connaissait les risques d’une censure de cette taxe par le Conseil Constitutionnel et avait ainsi proposé, à l’occasion du projet de loi de finances pour 2018, de supprimer cette contribution et de mettre « ainsi en conformité la législation française avec le droit de l’UE. » comme il l’indiquait dans l’exposé des motifs justifiant cette suppression. Toutefois si cette suppression règle les difficultés pour l’avenir, la problématique de l’application de cette contribution dans le passé demeurait.

Aussi, pour anticiper le risque de censure de la taxe par le Conseil Constitutionnel et donc de remboursement, le Gouvernement a ainsi provisionné dans son projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 une somme globale de 5,7 Mds€ sur les 4 prochaines années.

Or, au vu des dernières déclarations du Ministre de l'Économie et des Finances, il semble que le coût total des demandes de remboursement pourrait avoisiner, intérêts moratoires inclus, les 10 Mds€, soit trois fois le coût de la suppression de l’ISF et plus de 4 Mds€ supplémentaires par rapport au montant provisionné à trouver pour le Gouvernement afin de tenir ses objectifs budgétaires.

Le Gouvernement, qui ne s’attendait a priori pas à une censure totale du Conseil Constitutionnel qui supprime intégralement la taxe pour le passé, privilégie pour l’heure l’instauration d’une taxe exceptionnelle, qui concernerait a priori les 437 entreprises dont le chiffre d’affaires excède 1 Md€. Il s’agirait d’une contribution égale à 15% du montant de leur impôt sur les sociétés, taux porté à 30% pour la centaine de sociétés ayant un chiffre d’affaires excédant les 3 Mds€.

Affaire à suivre donc.

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