De Gaulle Fleurance a publié la 6e
édition de son Observatoire des transitions sociétales, réalisé en
collaboration avec HEC Paris et le cabinet de conseil financier Accuracy.
Cet Observatoire offre
une analyse croisée des grands enjeux qui redéfinissent aujourd’hui les
priorités des entreprises : recul des réglementations RSE et du contentieux
climatique, développement de l’IA générative et son impact économique, social
et juridique.
Chiffres Clés de
l’Observatoire
• La Commission européenne propose de limiter
le périmètre de la directive CSRD sur le reporting extra-financier aux
entreprises de plus de 1 000 salariés (contre 250 précédemment) ; le Parlement
souhaitant même élever le seuil à 1 500 salariés. Concrètement, cela retirerait
du champ 80% à 92% des entités initialement concernées. Elle envisage également
de réduire de près de 70% les indicateurs à publier au sein des rapports de
durabilité ;
• 2 967 contentieux climatiques recensés en
2024 dans une soixantaine d’États, soit un rythme de croissance en légère
inflexion (Rapport du Grantham Institute) ; environ 1 action sur 5 vise une
entreprise privée ;
• 2 actions en justice fondées sur le devoir de
vigilance
introduite en France en 2025 ;
• Pour lutter contre le greenwashing en France, la DGCCRF a mené plus de 3 000 contrôles entre 2023 et 2024 sur des entreprises, donnant lieu à plus de 400 injonctions de mise en conformité,
70 amendes administratives et plus de
500 avertissements ; selon la DGCCRF, un tiers des opérateurs contrôlés sont
concernés par des problématiques de greenwashing en 2024, contre 25% en 2022 ;
• Encadrant l’essor massif de l’IA, un
Règlement européen, entré en vigueur en août 2024, prévoit des sanctions
sévères, jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial, en cas de non-respect des
obligations (conformité par un tiers, documentation, explicabilité…) ;
• +27% de crédits accordés sur les plateformes
utilisant l’IA
pour évaluer la solvabilité des emprunteurs, à des taux moins élevés (-16%),
pour un risque comparable, selon le Consumer Financial Protection Bureau qui
illustre ainsi l’efficacité et l’impact positif de cette technologie.
• Selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation
globale des centres de données pourrait passer de 460 TWh en 2022 à plus de
1 000 TWh en 2026, soulignant un défi environnemental majeur à relever.
Directive Omnibus : un
tournant pour la durabilité européenne
Le projet de directive
Omnibus, qui modifie la CSRD, recentre les obligations de reporting
extra-financier sur les seules grandes entreprises, employant plus de 1 000
salariés (le Parlement souhaite même élever le seuil à 1 500 salariés),
réduisant de 80 à 92% le périmètre initial de la directive CSRD (qui fixait un
seuil à 250 salariés). La « soft law » devra reprendre du terrain et permettre
aux plus petites entreprises de se distinguer en développant leur stratégie RSE
sur une base volontaire.
« Nous observons en
2025 un recul du « droit dur », la renégociation de la directive Omnibus
remettant directement en cause les obligations en matière de reporting
extra-financier et de devoir de vigilance dans leur version européenne initiale
(CSRD et CSDDD) »,
souligne Louis de Gaulle, Président de De Gaulle Fleurance.
« L’histoire du
développement durable entre dans un nouveau chapitre : celui où la
responsabilité ne s’impose plus, mais se choisit », poursuit Bénédicte
Faivre-Tavignot, Professeure Associée de stratégie à HEC Paris et directrice
exécutive de l'Institut Sustainability & Organizations.
Malgré ce recul, «
la directive Omnibus représente un tournant majeur car elle confirme que la
durabilité ne peut se réduire au seul climat, estime Marieke
Huysentruyt, Professeure Associée de Stratégie et Politique d’Entreprise à HEC
Paris. Les entreprises concernées, notamment les grandes, devront
continuer à rendre des comptes sur les dimensions sociales et de gouvernance de
leur activité. »
Afin de préserver la
compétitivité des entreprises européennes, Brian Hill, Directeur académique du
Centre pour une Économie Inclusive à HEC Paris, envisage la mise en place d’un
reporting volontaire mais incentivisé, recentré sur les produits plutôt que sur
les entreprises, permettant d’en encadrer l’usage plus aisément, tout en
assurant une portée à l’échelle de l’ensemble du marché européen – y compris
pour les produits fabriqués par des entreprises non-européennes.
« Les tableaux de bord
intelligents au niveau des produits peuvent concilier durabilité et
compétitivité, en réduisant la charge de reporting et en garantissant des
conditions de concurrence équitables à l’échelle mondiale », explique Brian Hill,
Directeur académique du Centre pour une Économie Inclusive à HEC Paris,
Contentieux climatique
: vers une judiciarisation mondiale de la transition
Les près de 3 000
contentieux climatiques relevés en 2024 deviennent un espace clé où
s’affrontent les stratégies de transition et les stratégies de préservation du
statut quo. Une tendance qui se renforce depuis l’élection de Donald Trump à la
présidence des Etats-Unis et le projet de directive Omnibus de l’Union
européenne. La difficulté pour les entreprises réside dans la fragmentation et
l’évolution constante du cadre réglementaire qui demandent une fortes capacité
d’adaptation.
« Le contentieux
climatique représente un ensemble de risques juridiques, financiers,
réglementaires et réputationnels, exigeant des multinationales une approche
dynamique et intégrée de la durabilité et de la conformité », explique Arnaud Van
Waeyenberge, Professeur Associé à HEC Paris et coordinateur du département «
Droit et Fiscalité ».
Autre tendance observée
: le
nombre d’actions en justice fondées sur le devoir de vigilance poursuit son
déclin en France, avec deux assignations lancées en 2025. Toutefois, « on voit
surgir depuis quelques années une forte augmentation des actions contre les
entreprises ou leurs mandataires sociaux en lien notamment avec des allégations
de violation de droits humains, ces actions ayant une composante de droit pénal
», alerte Pierrick Le Goff, associé chez De Gaulle Fleurance, qui rappelle que
déjà au premier semestre 2024, 13 procédures de ce type avaient été lancées en
France (Rapport du Club des Juristes).
Greenwashing : un
risque juridique et réputationnel accru
Alors que le Pacte Vert
européen est fragilisé par la directive Omnibus, le greenwashing donne lieu à
une vigilance croissante de la part des autorités en France et devient un
risque systémique pour les entreprises, un tiers d’entre elles étant concernées
par des problématiques de fausses allégations environnementales ou sociales,
selon la DGCCRF. Le greenwashing les expose à des sanctions financières et à
une perte de confiance de la part des parties prenantes : investisseurs,
consommateurs, partenaires, salariés et territoires.
« Face au greenwashing,
le cadre juridique s’est progressivement densifié tandis que les autorités de
contrôle ont renforcé leurs moyens d’actions, observent Matthieu Dary, associé,
et Thibaut Brenot, avocat chez De Gaulle Fleurance. Mais la régulation
ne peut suffire : la soft law, les référentiels publics et la pression des
parties prenantes jouent en la matière un rôle complémentaire d’importance
instaurant une vigilance collective ».
Intelligence
artificielle : la mutation des modèles d’affaires
Autre préoccupation
majeure des entreprises : l’intelligence artificielle ne se limite pas à
automatiser ou accélérer certains processus. Elle reconfigure en profondeur les
modèles d’affaires et soulève des questions de société essentielles. Là où
Internet a numérisé l’ensemble de l’économie et les relations sociales, l’IA
opère à un niveau encore plus profond : elle touche à la manière même dont les
décisions sont prises, la valeur créée, et les revenus captés.
Trois grandes mutations
se dessinent :
- La désintermédiation de certains marchés dans
la finance notamment
(pour l’octroi de crédits, par exemple) ;
- L’émergence de nouveaux produits monétisables (dans l’automobile où
les voitures se muent en plateformes logicielles auxquelles le client peut
s’abonner) ;
- Une personnalisation
extrême des prix et des parcours, qui ouvre la voie à des modèles de revenus
dynamiques (dans le tourisme et le secteur du transport où les tarifs évoluent
en fonction de la demande).
Mais ces gains
d’agilité posent des questions éthiques majeures.
- À partir de quel
moment la personnalisation devient-elle discrimination ?
- Peut-on fixer un prix
ou ajuster un risque
sur la base de données comportementales ?
- Quelle place au
consentement éclairé
face à la collecte des données, qu’il s’agisse de propriété intellectuelle ou
de données individuelles ?
- Quelle rémunération
pour les auteurs
qui alimentent l’IA ?
- Et qui est
responsable
lorsqu’une décision est prise par un algorithme ?
La montée en puissance
de l’IA générative renforce encore ces enjeux. Elle ne se contente plus
d’assister l’humain : elle produit, recommande, et parfois convainc. La
frontière entre outil et acteur devient floue. Dès lors, le débat n’est plus
seulement technologique, mais sociétal et juridique : quelles règles
voulons-nous fixer à ces systèmes ? Quelle place accorder à la supervision
humaine ? Et que signifie encore la responsabilité dans un monde où l’on ne
comprend plus toujours comment une décision
est prise ?
Comme l’analyse Jérémy
Sitruk, Directeur Data et IA chez Accuracy, « le parallèle avec Internet est
éclairant : il ne s’agit pas d’“arrêter” l’IA, tout comme il aurait été
illusoire d’arrêter Internet. Il s’agit de définir dès maintenant les
garde-fous, les principes d’usage, et les finalités que nous jugeons souhaitables.
»
« Les défis posés par cette révolution, auxquels s’ajoutent la consommation énergétique et de ressources massive, les biais discriminatoires forcent à se dessiner de nouvelles solutions. On assiste à une prise en compte croissante des enjeux éthiques et de conformité, les sanctions étant très lourdes (jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial, selon le règlement européen AI Act de 2024). « Les directions juridiques, en collaboration avec les autres fonctions, ont un rôle clé pour traduire les principes de l’IA en politiques concrètes. En encadrant rigoureusement l’IA, tout en la mobilisant pour atteindre les objectifs sociaux et environnementaux, les entreprises pourront transformer ces contraintes en opportunités d’innovation responsable », conclut Bruno Deffains, avocat of counsel chez De Gaulle Fleurance.


