Par Alexis Normand,
CEO & cofondateur de Greenly.
Paris–Berlin et Paris–Vienne, deux des rares liaisons ferroviaires de nuit internationales qui connectent la France à ses voisins, sont aujourd’hui menacées d’interruption. Une perspective qui va à rebours de toute logique physique et fiscale, alors même que l’Europe affiche des ambitions climatiques fortes. Si cette perspective a longtemps semblé inéluctable, les mobilisations récentes (pétition, soutiens d’élus et discussions parlementaires) laissent entrevoir que le sort de ces lignes pourrait encore évoluer.
D’ailleurs, la compagnie European Sleeper a annoncé ce 12 novembre vouloir relancer la liaison
Paris–Berlin “d’ici mars 2026”, après son arrêt prévu le 14 décembre par la
SNCF et ÖBB.
Cette suppression résulterait du retrait de la subvention annuelle de l’État français à la SNCF
(10 millions d’euros par an), jugée non viable pour une offre limitée à trois
allers-retours hebdomadaires. Sans cette aide, ÖBB et DB, qui opèrent la ligne
en partenariat, n’entendent plus assumer seuls les déficits, et la liaison
devrait donc s’arrêter le 14 décembre prochain, soit à peine deux ans après sa
relance, et ce, malgré un taux de remplissage moyen de 70%.
Pourtant, la mobilisation est forte : une pétition rassemblant plus de 90 000 signatures et de nombreux élus de tous bords, plaident pour le maintien de la seule ligne de nuit internationale au départ de Paris.
Jean Castex, nouveau président de la SNCF, en a fait une priorité, tandis que Philippe Tabarot, ministre des Transports, a précisé que « ce n’est pas forcément définitif », laissant entrevoir une issue favorable.
Un amendement parlementaire rétablissant le
financement de ces trains a d’ailleurs été adopté en commission dans le cadre
du projet de loi de finances, ouvrant la voie à un maintien possible en 2026.
En creux, le constat
reste sans appel :
le train émet 5 à 10 fois moins de CO₂ par passager-kilomètre
que l’avion, et bien davantage quand l’électricité est décarbonée. L’Agence
européenne pour l’environnement rappelle que le rail demeure le mode motorisé
le plus sobre en émissions. Concrètement, un Paris–Berlin en avion génère
environ 154 kg de CO₂ par passager, contre seulement 4 kg pour le
train. Cela représente un écart de 150 kg par voyage.
Appliqué aux flux actuels, soit environ 36 000 voyageurs par an vers Vienne et 30 000 vers Berlin, la suppression de ces trains signifierait un basculement de 66 000 passagers vers l’aérien.
Résultat : près de 10 000 tCO₂e supplémentaires chaque année, sans compter les effets non-CO₂e
de l’aviation qui doublent quasiment l’impact climatique réel.
À ce coût
environnemental s’ajoute le biais fiscal. Le kérosène reste exempté de taxe dans
l’Union européenne, y compris sur les vols internationaux, et la TVA ne
s’applique que rarement sur les billets d’avion. Pendant ce temps, les
opérateurs ferroviaires doivent s’acquitter de péages élevés pour chaque
kilomètre parcouru. À Bruxelles, les discussions sur une fiscalité effective du
carburant aérien s’éternisent, tandis que le rail est fragilisé par ces
distorsions.
Pour Alexis Normand conclut : « Couper ces liaisons ne relève donc pas d’une optimisation de l’offre, mais d’un choix implicite en faveur du kérosène contre le rail. Si les objectifs climatiques européens doivent avoir un sens, la seule décision cohérente est de sanctuariser et d’étendre ces trains de nuit, de corriger l’injustice fiscale qui favorise l’avion et d’investir dans des services plus lisibles, fiables et attractifs. À l’heure où chaque tonne carbone émise compte, sacrifier ces lignes reviendrait à envoyer le signal exactement inverse de celui qu’exige la transition. »


