Par Marie Asma Ben-Othmen,
UniLaSalle*
Le « bio » : une étiquette clairement identifiable et souvent rassurante. Pourtant, les réalités derrière ce label mondial divergent.
Alors que les normes en Europe sont plutôt
strictes, elles sont bien plus souples en Amérique du Nord. Dans les pays émergents,
ce sont les contrôles qui sont inégaux.
Autant d’éléments à
même d’affecter la confiance accordée au bio par les consommateurs. Comment s’y
retrouver ? L’idéal serait d’harmoniser les règles d’un pays à l’autre.
Petit tour d’horizon.
Le « bio » est un label
mondial qui peut s’appliquer à des produits venus d’Europe, de Chine ou
d’Amérique du Sud. Il n’a pourtant rien d’universel. Derrière l’étiquette
rassurante, on ne retrouvera pas les mêmes normes en fonction des pays de
production.
Par exemple, alors que
l’Europe impose des règles plutôt strictes, les États-Unis se montrent beaucoup
plus souples. Dans certains pays émergents, comme le Brésil, ce sont les
contrôles qui sont souvent moins sévères. Nous vous proposons ici un bref tour
d’horizon, qui vous permettra, nous l’espérons, de mieux orienter vos choix de
consommation.
L’absence de pesticides
derrière le succès du bio français
En France, la
consommation de produits biologiques a connu une croissance fulgurante. En
2023, après vingt années de progression continue, ce marché a été multiplié par
13 par rapport à son niveau initial.
Cette tendance
s’explique par le fait que les consommateurs perçoivent le bio comme un produit
plus naturel, notamment en raison de l’absence de traitements pesticides
autorisés. La production bio doit respecter un cahier des charges plus attentif
à l’environnement, ce qui favorise la confiance des consommateurs dans un
contexte de plus en plus marqué par la défiance alimentaire.
Ce label demeure
toutefois une construction réglementaire qui dépend fortement du contexte
national. Cette dynamique positive se heurte aujourd’hui à des évolutions
législatives à même de la fragiliser. La loi Duplomb, adoptée le 8 juillet
2025, illustre combien les choix politiques peuvent ébranler la confiance
accordée à l’agriculture en réintroduisant la question des pesticides au cœur
du débat. Cette loi propose en effet des dérogations à l’interdiction
d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.
Même si elle loi ne
concerne pas directement les producteurs biologiques, elle risque d’avoir des
effets indirects sur le secteur. En réintroduisant des dérogations à l’usage de
substances controversées, elle ravive la défiance du public envers l’agriculture
conventionnelle. Dans ce contexte, les filières bio pourraient apparaître comme
une valeur refuge pour les consommateurs, renforçant leur rôle de repère de
confiance dans un paysage agricole fragilisé.
Dans l’Union
européenne, un label bio garanti sans OGM
L’Union européenne (UE) a établi une réglementation stricte pour l’agriculture biologique dès 1991.
Au-delà de la question des pesticides, qui se pose, comme on l’a vu plus haut,
plus intensément en France, celle des organismes génétiquement modifiés (OGM)
offre également une clé de lecture intéressante à l’échelle européenne.
En effet, le label bio
européen interdit totalement le recours à OGM dans les produits labélisés bio,
à toutes les étapes de sa chaîne de production. Cela signifie qu’il est
interdit d’utiliser des semences OGM pour les cultures bio, pas d’alimentation
animale issue des OGM pour l’élevage bio et pas d’ingrédients issus des OGM
pour les produits transformés bio.
En outre, le cahier des
charges européen du bio impose des pratiques agricoles strictes en limitant le
recours aux intrants de synthèse. Ceci inclut les engrais azotés, les
pesticides, les herbicides et les fongicides de synthèse. Seuls certains
intrants naturels ou minéraux sont autorisés, à l’instar du fumier, compost et
engrais verts. Ceci reflète la philosophie du bio, basée sur la prévention des
maladies et des déséquilibres agronomiques, par le maintien de la fertilité des
sols, la biodiversité et les équilibres écologiques.
Logos français et
européen relatifs à l’agriculture biologique. JJ Georges, CC BY-SA

En France, le label
français AB s’appuie ainsi sur le règlement européen, tout en ajoutant quelques
exigences propres, comme un contrôle plus rigoureux de la traçabilité et du
lien au sol.
Si les deux labels
restent alignés sur les grands principes, le bio français se distingue par une
mise en œuvre généralement plus stricte, héritée d’une longue tradition
d’agriculture biologique militante.
Le bio en Europe se heurte aussi à un certain nombre d’enjeux actuels, notamment agronomiques.
Il s’agit par exemple du besoin de renforcer la recherche sur les alternatives aux pesticides et autres intrants de synthèse, comme le biocontrôle, une sélection variétale adaptée et la gestion écologique
des sols.
Enfin, force est de constater que l’UE a fait du bio un pilier de sa stratégie « de la ferme à la table »
(« From Farm to Fork »). Celle-ci a pour objectif d’atteindre 25 % de
la surface agricole utile (SAU) européenne en bio d’ici 2030.
Afin de garantir la
fiabilité du label, l’UE a mis en place un système de contrôle centralisé et
harmonisé de supervision des chaînes de valeur alimentaires. Celles-ci
englobent les producteurs, les transformateurs, jusqu’aux distributeurs. Ces
contrôles reposent sur des règles précises définies par le règlement européen
2018/848.
De son côté, le consommateur retrouvera les différents labels de certification bio, tels que le label européen EU Organic, le label national AB en France ou encore le Bio-Siegel en Allemagne. Même si tous ces labels reposent sur la même base réglementaire européenne, leurs modalités d’application
(par exemple, le type
de suivi) peuvent varier légèrement d’un pays à un autre. Chaque pays peut en
outre y ajouter des exigences supplémentaires. Par exemple, la France impose
une fréquence de contrôle plus élevée, tandis que l’Allemagne insiste sur la
transparence des filières.
Une labélisation plus
souple en Amérique du Nord
En Amérique du Nord,
l’approche du bio est plus souple que celle de l’Union européenne. Aux
États-Unis, le label USDA Organic, créé en 2002, définit les standards
nationaux de la production biologique. Il se caractérise par une certaine
souplesse par rapport aux standards européens, notamment en ce qui concerne
l’usage des intrants, puisque certains produits chimiques d’origine synthétique
sont tolérés s’ils sont jugés nécessaires et sans alternatives viables. Ceux-ci
incluent, par exemple, certains désinfectants pour bâtiments d’élevage et
traitements antiparasitaires dans la conduite de l’élevage.
Le Canada, de son côté,
a mis en place sa réglementation nationale des produits biologiques – le Canada
Organic Regime – plus tardivement que les États-Unis. Ce système est équivalent
à celui des États-Unis, dans la mesure où un accord bilatéral de reconnaissance
mutuelle permet la vente des produits bio canadiens aux États-Unis et vice
versa.
Les deux systèmes
présentent ainsi de nombreuses similitudes, notamment en ce qui concerne la
liste des substances autorisées et leur flexibilité d’usage. Cependant, ils
divergent du modèle européen sur plusieurs points.
Tout d’abord, alors que
l’UE applique une tolérance quasi nulle, vis-à-vis des OGM, les États-Unis et
le Canada tolèrent, de façon implicite, la présence accidentelle de traces
d’OGM dans les produits bio. En effet, selon le règlement de l’USDA Organic,
l’utilisation volontaire d’OGM est strictement interdite, mais une
contamination involontaire n’entraîne pas automatiquement la perte de la
certification si elle est jugée indépendante du producteur. Le Canada adopte
une position légèrement plus stricte, imposant des contrôles renforcés et une
tolérance plus faible.
Cette différence a
suscité des controverses au moment de l’accord de reconnaissance mutuelle,
certains consommateurs et producteurs canadiens craignant de voir arriver sur
leur marché des produits bio américains jugés moins exigeants sur la question
des OGM. Celles-ci concernaient également les conditions d’élevage. En effet,
alors qu’en Europe les densités animales sont strictement limitées et que les
sorties en plein air sont très encadrées, en Amérique du Nord, certains
systèmes de production biologique peuvent être beaucoup plus intensifs, menant
à de véritables fermes industrielles biologiques, ce qui entraîne une perte de
proximité avec l’idéal originel du bio.
Enfin, un autre
contraste concerne les productions hors sol. Aux États-Unis, les fermes
hydroponiques – qui cultivent les plantes hors sol – peuvent être certifiées
USDA Organic, à condition que les intrants utilisés figurent sur la liste
autorisée. En revanche, en Europe, l’hydroponie est exclue car elle ne respecte
pas le lien au sol, considéré au cœur de la philosophie agroécologique.
Dans les pays
émergents, du bio mais selon quels critères ?
Dans les pays
émergents, la question du bio se pose différemment. En effet, celle-ci dépend
fortement des dispositifs et des critères mis en place par ces pays pour en
garantir la crédibilité. À titre d’exemple, en Inde, au Brésil ou en Chine, les
labels bio nationaux sont assez récents (la plupart ont été mis en place entre
2000 et 2010) et moins contraignants que leurs équivalents européens.
Alors que, dans l’UE,
les contrôles sont effectués par des organismes certificateurs tiers accrédités
et indépendants, au Brésil, les producteurs peuvent être certifiés via un
système participatif de garantie (SPG), qui repose sur l’auto-évaluation collective
des agriculteurs. En conséquence, ces labels peinent à construire une véritable
confiance auprès des consommateurs.
Par ailleurs, dans de
nombreux cas, les certifications biologiques sont avant tout conçues pour
répondre aux standards des marchés internationaux afin de faciliter
l’exportation vers l’UE ou l’Amérique du Nord, plutôt que pour structurer un
marché intérieur. C’est, par exemple, le cas en Inde.
Cette situation laisse
souvent les consommateurs locaux avec une offre limitée et parfois peu fiable.
Dans ce contexte, les organismes privés de certification internationaux, comme
Ecocert, Control Union ou BioInspecta occupent une place croissante. Ils améliorent
la reconnaissance de ces produits, mais renforcent une forme de dépendance
vis-à-vis de standards extérieurs, ce qui soulève des enjeux de souveraineté
alimentaire mais aussi de justice sociale dans ces pays.
Le bio, un label
global… mais éclaté
L’absence de
reconnaissance universelle mutuelle entre les différents systèmes de
certification biologique engendre de la confusion chez les consommateurs. Il
crée également de fortes contraintes pour les producteurs.
En pratique, un
agriculteur qui souhaiterait exporter une partie de sa production doit souvent
obtenir plusieurs certifications distinctes. Par exemple, un producteur
mexicain doit ainsi être certifié à la fois USDA Organic pour accéder au marché
américain et EU Organic pour pénétrer le marché européen.
Cette multiplication
des démarches alourdit les coûts et la complexité administrative pour les
producteurs, tout en renforçant les inégalités d’accès aux marchés
internationaux.
Du côté des
consommateurs, l’usage généralisé du terme « bio » peut donner l’illusion d’une
norme universelle, alors qu’il recouvre en réalité des cahiers des charges très
différents selon les pays. Cette situation entretient une certaine ambiguïté et
peut induire en erreur, en masquant les disparités de pratiques agricoles et de
niveaux d’exigence derrière un label apparemment commun.
Comment s’y retrouver
en tant que consommateur ?
Pour s’y retrouver dans
la jungle du « bio », il faut donc aller au-delà du simple logo affiché sur
l’emballage et s’informer sur la provenance réelle du produit et sur le cahier
des charges du label précis qui le certifie.
Il est aussi essentiel
de garder à l’esprit que bio ne signifie pas automatiquement « local » ni «
petit producteur ». Certains produits certifiés biologiques proviennent de
filières industrielles mondialisées.
Enfin, le consommateur
peut jouer un rôle actif de « citoyen alimentaire », pour encourager davantage
de transparence et de traçabilité, s’il favorise les circuits de distribution
qui donnent accès à une information claire et détaillée sur l’origine et les
modes de production. Il soutient alors une alimentation plus démocratique et
responsable. C’est précisément cette implication citoyenne dans le système
alimentaire qui peut favoriser l’essor d’une culture de l’alimentation locale
et durable, fondée sur la confiance, l’attachement au territoire et la
coopération entre producteurs et consommateurs.
Pour que le bio livre
son plein potentiel en termes de transformation agroécologique des systèmes
alimentaires mondiaux, peut-être faudrait-il, demain, envisager une
harmonisation internationale du bio. C’est à cette condition qu’on pourra en
faire un véritable langage commun pour les consommateurs, qui signifie
réellement la même chose d’un pays à l’autre.
*Marie Asma Ben-Othmen, Enseignante-chercheuse en Economie de l'environnement & Agroéconomie, Responsable du Master of Science Urban Agriculture & Green Cities, UniLaSalle.


