L’analyse
de Xavier Trigano, VP Product chez Craft AI.
L’actualité de l’IA est
rythmée par l’annonce de nouveaux modèles toujours plus puissants, plus
coûteux, et plus fermés. La course à la performance bat son plein, portée par
quelques acteurs technologiques américains et chinois qui concentrent désormais
l’essentiel de l’innovation. Face à cette dynamique, l’Europe n’a pas encore
trouvé sa voie. Elle oscille entre fascination technologique et dépendance
croissante. Pourtant, une alternative crédible et durable existe : l’open
source.
Ce choix n’est pas
marginal ni naïf. Il s’impose désormais comme un levier stratégique pour
construire une intelligence artificielle plus souveraine, plus agile et mieux
alignée avec les réalités des entreprises européennes.
Une réponse concrète
aux défis de souveraineté et d’agilité
Trop souvent, l’open
source est encore perçu comme une solution gratuite ou communautaire. En
réalité, il s’agit d’un véritable atout industriel. Adopter des modèles ouverts
permet de garder le contrôle sur ses déploiements, d’adapter les modèles à ses
besoins métier, et surtout d’assurer une transparence sur leur fonctionnement.
À l’inverse, les
modèles propriétaires exposent les organisations à une instabilité permanente :
modifications tarifaires, restrictions d’usage, dépendance à des API
commerciales, absence de visibilité sur l’évolution des modèles. Une entreprise
qui investit massivement sur un seul fournisseur prend le risque de devoir
réajuster toute sa stratégie à la moindre modification.
À l’heure où les
innovations en IA s’enchaînent, il devient indispensable de développer une
véritable autonomie technologique. Cela passe par des plateformes
modèle-agnostiques, capables de faciliter la transition entre différents
modèles, qu’ils soient ouverts ou propriétaires" n'a pas tout à fait la
même puissance et signification que "permettant de facilement passer d'un
modèle propriétaire à un modèle ouvert et d'un fournisseur à un autre.
Performance, maîtrise
des coûts et confidentialité
Les modèles de langage
open source ont progressé à grande vitesse ces derniers mois, au point que
leurs performances convergent avec les solutions propriétaires sur de nombreux
cas d’usage. Surtout, ils permettent aux entreprises de faire un choix éclairé
sur leurs arbitrages techniques : héberger un petit modèle en local ou dans un
cloud de confiance, accéder ponctuellement à un modèle plus puissant via API.
Cette hybridation ouvre un nouveau champ de possibilités.
Elle permet aussi de
répondre à un enjeu central : la protection des données. Construire une
application basée sur des modèles open source déployés en interne garantit la
confidentialité des données sensibles, sans dépendance à un tiers. Cela répond
à la fois aux exigences réglementaires et aux attentes croissantes en matière
d’éthique et de cybersécurité.
Autre avantage clé : le
pilotage économique. Contrairement aux solutions API qui fonctionnent à la
requête ou au token, un modèle open source permet de passer d’un coût variable
à un coût fixe maîtrisé, particulièrement avantageux à grande échelle.
L’open source, levier
d’une IA frugale et ciblée
Dans un contexte de
tension énergétique et de sobriété numérique, il n’est plus envisageable de
mobiliser des modèles massifs pour des tâches simples. L’open source favorise
le recours à des modèles plus compacts, spécialisés, et bien entraînés sur des
jeux de données métiers, réduisant à la fois l’empreinte carbone et la dette
technique.
Ces modèles de petites
tailles (les SLM - « small language model ») permettent de construire des
agents IA plus sobres et plus ciblés permettant d'automatiser de nombreuses
tâches : génération d'un document, récupération d'une information dans une base
de données, envoi d'un email. Leur faible consommation de ressources facilite
leur déploiement sur des environnements diversifiés et permet également une
utilisation sur des objets embarqués.
Construire une
alternative européenne crédible
L’Europe dispose des talents, des ressources, des régulations et de l’écosystème pour bâtir sa propre voie dans l’IA. Mais encore faut-il faire de l’open source un projet politique et économique prioritaire.
Car derrière la souveraineté, c’est aussi
la capacité d’innovation à long terme qui est en jeu.
En soutenant les
initiatives open source, en investissant dans des plateformes de développement
d’agents IA et en misant sur des infrastructures de confiance, l’Europe peut
reprendre la main dans la course mondiale à l’IA. Elle peut le faire à ses
conditions : avec transparence, maîtrise et engagement éthique.
L’intelligence artificielle de demain ne devra pas être surpuissante. Elle devra être efficace, adaptée, frugale, lisible, modulaire et interopérable, en phase directe avec les besoins concrets des entreprises et des utilisateurs.


