Par Stéphane
Bohbot, Fondateur & CEO d’Innov8 Group.
Nous vivons une
transition industrielle qui n’est pas encore visible dans nos rues mais qui
s’apprête à transformer radicalement nos usines, nos entrepôts, nos hôpitaux et
nos villes.
Cette révolution n’est
pas celle des smartphones, ni celle des réseaux sociaux, ni même celle de l’IA
conversationnelle. Elle est celle des robots intelligents : des machines
capables non seulement de se déplacer dans un monde humain, mais aussi de comprendre,
d’apprendre et d’agir dans des environnements complexes, en interaction
constante avec nous.
Dans les trois à cinq
ans à venir, l’humanoïde intelligent pourrait passer du stade de démonstration
à celui d’outil indispensable, comme l’ordinateur personnel dans les années 80
ou le smartphone dans les années 2000.
La course mondiale est déjà lancée. Le marché des humanoïdes devrait atteindre quinze milliards de dollars en 2030, contre environ trois milliards en 2025, avec une croissance annuelle de près de 39%.
En Europe, il passera de 500 millions de dollars en 2024 à plus de 3
milliards à cet horizon. Aux États-Unis, Tesla, NVIDIA, Meta ou Apple
multiplient les initiatives. En Chine, Unitree, UBTECH, Fourier ou AgiBot
avancent à grande vitesse. Pendant ce temps, l’Europe hésite encore à s’engager
pleinement.
Le vrai défi n’est plus mécanique. Les humanoïdes savent déjà marcher, courir, manipuler, même si cela reste encore limité à des environnements contrôlés. Le verrou, c’est l’intelligence incarnée, cette IA capable d’apprendre de nouvelles compétences sans être réentraînée de zéro, d’adapter ses gestes à un environnement inconnu et de comprendre une instruction floue pour l’exécuter dans le monde réel.
Le point
de bascule viendra le jour où un robot pourra recevoir une consigne simple – «
apporte cette bouteille à cette personne » – et l’exécuter sans script ni
supervision humaine. Des experts estiment que ce seuil pourrait être franchi
dans les trois à cinq ans.
On parle beaucoup du
besoin de données en robotique. Les capteurs et les environnements en
produisent déjà en abondance. Le problème est ailleurs : il réside dans les
modèles, ces architectures d’IA qui transforment les données en compétences
utiles. La plupart sont encore trop spécialisés et exigent un réentraînement
lourd pour chaque nouvelle tâche.
Contrairement aux
modèles de langage, capables de généraliser à partir de briques acquises, les
modèles robotiques ne capitalisent pas encore sur leurs acquis. L’avenir
dépendra donc de la capacité à concevoir des modèles généralisables, capables
de réutiliser des briques universelles comme l’équilibre, la préhension ou le
déplacement pour apprendre plus vite et plus efficacement.
Face à ces enjeux,
l’Europe a des atouts majeurs : la robotique de précision, l’IA embarquée,
l’edge computing, la cybersécurité, les normes éthiques et la recherche
académique de haut niveau. Mais ces forces restent fragmentées. Aucune région
du monde ne peut, seule, couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur. L’Asie
excelle dans le hardware, la miniaturisation et la production de masse ;
l’Europe dans l’intégration logicielle, la sécurité et les standards
industriels. Le futur de la robotique ne pourra être que coopératif.
C’est ce que nous démontrons déjà à travers le partenariat entre Innov8 Power et Unitree Robotics.
En associant l’expertise hardware d’un leader asiatique à la valeur
ajoutée logicielle européenne, nous construisons des solutions adaptées aux
besoins réels du marché. Cette alliance illustre le chemin à suivre : des
coopérations équilibrées, où chaque partenaire apporte son savoir-faire, et où
l’innovation s’accélère grâce aux complémentarités.
Dans les années 80, l’Europe a raté le virage du PC. Dans les années 2000, celui du smartphone.
Rater aujourd’hui la révolution des robots intelligents ne serait pas seulement une erreur économique :
ce serait une perte de souveraineté technologique.
Les robots intelligents
ne remplaceront pas l’humain. Ils l’augmenteront. La question est de savoir si
nous voulons être spectateurs ou bâtisseurs.
L’histoire industrielle ne repasse pas les plats. À nous de saisir cette opportunité, ensemble.


