L’analyse de Faïz
Hebbadj, Président de Norma Capital.
Alors que l’État tente
de trouver une issue à la dette publique et œuvre à un retour de l’équilibre
budgétaire, un angle mort persiste : une partie croissante de l’épargne
immobilière française se détourne du territoire national. Ce phénomène, discret
mais massif, interroge à l’heure où chaque levier de croissance et de recettes
fiscales devrait être activé.
Les Français restent
attachés à la pierre. Elle rassure, protège de l’inflation, génère des revenus
complémentaires. Le dernier baromètre Norma Capital / Occurrence IFOP
(janvier-février 2025) le confirme : l’immobilier demeure une valeur refuge
pour une majorité d’épargnants.
Dans ce paysage, les
SCPI (Sociétés Civiles de Placement Immobilier) occupent une place
structurante. Elles permettent d’accéder à l’immobilier de manière mutualisée,
avec une gestion déléguée et une diversification des risques. Le marché reste
solide, avec plus de 86 milliards d’euros de capitalisation au premier
trimestre 2025 (source : ASPIM).
Mais derrière cette
apparente stabilité se cache une réalité plus troublante. Depuis 2012, plus de
23 milliards d’euros ont été investis hors de France par les SCPI, avec une
accélération notable à partir de 2016.
Le rythme des
investissements des SCPI à l’étranger s’accentue, il atteint actuellement au
premier trimestre 2025 près de 80% des montants investis par les SCPI.
Un chiffre qui
interpelle, d’autant que les SCPI sont historiquement associées au financement
des territoires, à l’emploi local et s'inscrivent aujourd'hui dans une démarche
de transition énergétique.
La cause ? Une
distorsion fiscale bien connue des professionnels, mais encore peu discutée
publiquement. En France, les revenus fonciers sont fortement imposés : impôt
sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux. À l’étranger, ces prélèvements
sociaux ne s’appliquent pas. Ce seul écart suffit à orienter les flux, sans
même avoir besoin d’un différentiel de performance. Le cadre fiscal, en l’état,
pousse mécaniquement les gestionnaires à investir hors de France et les
épargnants à favoriser les SCPI dites « Européennes ».
Or, ces décisions ont
des conséquences économiques lourdes. Chaque euro investi à l’étranger, c’est :
• Une perte de droits de mutation (5,1 à 6%)
pour les collectivités ;
• Moins d’activité pour les entreprises du
bâtiment et les artisans locaux ;
• Moins de fiscalité locale (taxe foncière,
déchets, etc.) et de recettes indirectes (TVA, charges, impôts).
In fine, ce sont des
milliards d’euros de recettes fiscales qui échappent au pays chaque année.
En dix ans (2015–2024),
nous avons estimé que ce manque à gagner, cumulé pour les finances publiques, avoisinerait
1,6 milliard d’euros hors impôts sur les revenus, dont environ 190 millions
pour la seule année 2024. Source Norma Capital.
Ce glissement des
capitaux vers l’étranger induit une perte directe pour le budget de l’Etat et
des collectivités, mais pose également une question plus large sur l’allocation
du capital dans l’économie.
Il ne s’agit pas de
remettre en cause la diversification géographique ni l’ouverture européenne.
Mais il devient incohérent – voire contre-productif – de laisser s’échapper
notre épargne collective hors de nos frontières sans s’interroger sur les
effets induits.
Revoir la fiscalité des
revenus fonciers français ne signifie pas alourdir l’impôt. Il s’agit, au
contraire, de rétablir une forme de neutralité entre investissements nationaux
et internationaux. À défaut, la France continuera d’encourager, malgré elle, l’exil
de son épargne et la contraction de ses ressources publiques.
Oui à l’Europe. Oui à la diversification. Mais non à un cadre fiscal qui décourage l’investissement productif sur notre sol. Il est temps de remettre de la cohérence entre politique budgétaire, fiscalité et stratégie économique.


