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[Tribune] L’IA générative : un pur acte de création, bien loin de la photographie

Au moment où se termine le salon Vivatech, et alors que le Parlement Européen est en pleine réflexion sur l’IA, il convient de poser clairement les jalons d’un débat relatif aux images créées à 100% par intelligence artificielle.

Par Franck Lecrenay, Photographe professionnel - Prix européen Golden Camera 2023 et Membre de la FFPMI

L’intelligence artificielle (IA) est actuellement le sujet de nombreux débats, voire parfois de controverses. Comment s’inscrire dans cette modernité sans qu’elle échappe à tout cadre ? Inaugurant le salon Vivatech le 13 juin, le président de la République a annoncé qu’il dévoilerait prochainement un plan de soutien à l’IA. Quant au Parlement européen, il réfléchit actuellement à une règlementation garantissant les meilleures conditions de développement de cette technologie innovante, et que les pays suivront. Le débat gagne même les rangs des artisans photographes, dont les intérêts sont défendus par la Fédération Française de la Photographie et des Métiers de l’Image (FFPMI). Les professionnels de la photographie doivent-ils craindre l’intelligence artificielle dans sa dimension générative ? Sans doute pas, dans la mesure où celle-ci ne les concerne finalement que très indirectement…

L’IA générative : la dimension synthétique de la technologie

À l’instar de Chat GPT pour la production de textes, l’IA générative est en capacité de déployer des créations visuelles sur simple descriptif écrit. Certaines de ces images ressemblent à s’y méprendre à des photographies, et nécessitent un matériel informatique puissant. La plupart des outils permettant de les créer restreignent leur nombre, l’objectif étant bien sûr de favoriser le mode payant une fois le besoin créé auprès de l’utilisateur. Quoi qu’il en soit, les conditions sont désormais réunies pour que des images issues à 100% de l’intelligence artificielle se déploient dans la société (médias, publicité, réseaux sociaux…).

Stimulants, les débats provoqués par ces nouvelles productions renvoient d’abord à ce qu’est une IA générative : un acte de création. Utiliser une application spécifique pour donner corps à une image est à la portée de tout-un-chacun, et les usages sont ici pluriels. Un professionnel du marketing pourra grâce à cela générer des images d’illustration pour une présentation Power Point. Un lycéen ou un étudiant sera en capacité de soutenir un exposé oral. Un bloggeur s’appuiera sur cette ressource afin d’accompagner un texte ou une vidéo. Un artiste y aura recours afin de donner corps à un univers personnel, aux accents parfois poétiques.

Les images qui sont ainsi produites par une intelligence artificielle s’inscrivent toutes dans un univers éloigné du réel. Leurs représentations, qu’il s’agisse de villes, de forêts, d’animaux ou d’êtres humains, n’existent pas. L’IA générative relève d’un avatar : elle ressemble au réel mais elle s’enracine essentiellement dans la dimension synthétique de la technologie.

L’acte photographique : un témoignage à partir du réel

S’il ne faut pas avoir peur de ces images créées de toutes pièces, c’est précisément pour cela. Une image générée à 100% par l’IA relève d’un pur acte de création dont il appartiendra au législateur de voir exactement comment elle se situe à l’égard de la question du droit d’auteur. Par effet de rétroaction, cette image nous renvoie surtout à ce qu’est la photographie au XXIe siècle, au moment même où des avancées technologiques majeures viennent une fois de plus interroger notre rapport à cet art.

Depuis sa création il y a presque 200 ans, la photographie témoigne du réel et de la lumière. L’acte photographique s’inscrit dans une dimension instantanée, en prise directe avec le monde multidimensionnel dans lequel nous vivons. Qu’il s’agisse d’un portrait ou d’un paysage, nous sommes ici dans l’exposition consciente d’un regard – celui du photographe – sur un objet ou un sujet. De la photographie de mariage au reportage de guerre, la photographie témoigne de quelque chose, d’une expérience et d’un vécu. Quant au débat sur les retouches, présent depuis l’origine même de la photographie, il demeure lui aussi ancré dans la réalité tangible qui est la nôtre. Retoucher un cliché, c’est prolonger le regard d’un photographe artisan : cela reste de la photographie.

L’IA générative ne remplacera pas la photographie. L’histoire des techniques est là pour nous apprendre que les technologies nouvelles n’annulent jamais les précédentes mais qu’elles les enrichissent. Ce dont il convient de se méfier en revanche, c’est du regard encore naïf que nous portons sur ces images d’IA générative, qui sont d’un genre nouveau. Apprenons à faire évoluer notre rapport à l’image comme à la photographie. Sachons distinguer ce qui relève d’une création soutenue par l’algorithme et ce qui procède d’une expérience humaine vécue. Interrogeons-nous sur les bienfaits de cette avancée comme sur ses limites, et faisons ainsi avancer notre réflexion collective. Sur ces questions, les débats qui se développent actuellement au sein du Parlement Européen sont capitaux : en souhaitant que les systèmes d’IA soient tout à la fois sûrs, traçables, non discriminatoires et respectueux de l’environnement, l’Europe nous invite à nous acculturer sur ce qu’est une image, qu’il s’agisse d’une photo ou d’une création.

Comme souvent avec l’IA, le risque ne vient donc pas de la machine mais de notre regard. Apprenons à le faire évoluer : c’est avant tout sur nous-mêmes que doit porter notre attention.

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