Connexion
/ Inscription
Mon espace
Asset management
ABONNÉS
Partager par Linked-In
Partager par Xing
Partager par Facebook
Partager par email
Suivez-nous sur feedly

Baisse des prix de l'immobilier et tabous professionnels : le point de vue de Jean-François BUET

Pour la première fois depuis la crise de 1991, les observateurs sont unanimes sur la probabilité que le prix des logements baisse cette année. En particulier les institutions de référence en la matière, la FNAIM, les grands réseaux de franchise, les notaires, se sont exprimés ces dernières semaines clairement, prévoyant une correction de 5 à 15% selon les marchés et leurs tensions. On notera juste, par honnêteté, que Century 21 exclut ce mouvement pour Paris intra muros, se fondant sur le considérable déséquilibre entre l'offre et la demande dans la capitale, au détriment des candidats acquéreurs. Cette prédiction, que je respecte, est assez isolée, et elle ne remet pas en cause l'analyse générale.

Je voudrais dans ces circonstances, assez nouvelles et exceptionnelles, m'attarder sur le discours des professionnels immobiliers et son rapport à la baisse des prix. Deux questions me préoccupent: les agents immobiliers ont-ils du mal à parler de baisse? Et leur discours a-t-il une influence sur l'évolution des prix?

Sur le premier sujet, on a beaucoup dit que les agents immobiliers étaient l'une des causes de l'augmentation des prix, favorisant leur montée pour favoriser le niveau de leurs honoraires. En effet, chacun sait que les commissions de transaction sont proportionnelles au prix, et que globalement, plus une transaction est élevée, plus les émoluments qui y sont attachés seront conséquents. En fait, ceux qui disent cela se trompent: l'intérêt de l'agent n'est pas de vendre au prix le plus haut sans considération du temps, mais d'équilibrer l'équation entre prix optimisé et rapidité de vente. L'agent immobilier est un acteur du flux, et le stock, sur lequel il ne perçoit aucune rétribution et qui risque d'être sanctionné par la perte du mandat, est pour lui un fléau. Ils se trompent sur un autre point: les négociations d'honoraires ne sont jamais aussi sévères que quand les prix sont élevés. On comprend bien pourquoi: le prix s'entend "frais d'agence inclus", et c'est le total que regardent vendeur et acquéreur. Ils se trompent enfin parce qu'ils négligent que les honoraires sont dégressifs et que lorsqu'un prix augmente de 5 ou 10%, la tranche de commission pertinente conduit à un pourcentage d'honoraires plus bas.
En clair, l'agent immobilier n'est pas un acteur des augmentations. A l'inverse, il a un effet modérateur...relatif: il travaille sur fond de valeurs de marché, et ne peut aller contre le marché en s'essayant à le faire beaucoup baisser... les fondamentaux lui seraient vite rappelés par les vendeurs, et on ne lui confierait bien vite plus de mandats!
A ce stade de la réflexion, il est d'ailleurs intéressant de noter que c'est sur une large partie du marché de la transaction que les agents immobiliers exercent ce rôle modérateur: les plus récentes statistiques de taux de pénétration, émanant de l'exploitation de l'enquête logement (résidences principales) de l'INSEE, nous créditent d'un 60% minimum qui rompt avec les chiffres couramment avancés... On parle depuis des années d’à peine 50%, de toute évidence à tort.

Cela dit, je voudrais faire un mea culpa au nom de la profession: si elle n'est pas cause des augmentations, elle a par construction, par culture, une sensibilité patrimoniale. On ne peut nier qu'elle ait du mal à admettre que les valeurs puissent baisser. Elle a en elle, secrètement, l'idée et l'idéal d'un marché éternellement haussier, avec une solvabilité des acquéreurs éternellement au rendez-vous. Je reconnais que les agents immobiliers, en général, n'aiment pas parler de baisse. D'ailleurs, ils ont fini par user de mots atténués, comme les banquiers, et la "baisse" devient "correction" ou "ajustement". La hausse elle-même, quand on sent qu'elle pourrait ne pas faire que des heureux, devient "rattrapage"...

Mais c'est sur un second phénomène, jamais traité, que je veux vous livrer ma réflexion: je suis convaincu que le discours des acteurs immobiliers a une influence sur le marché, que pour cette raison il faut avoir le courage d'évoquer une baisse lorsqu'on la croit nécessaire. Nous pensons collectivement que les prix ont fini par éprouver à leur maximum, et au-delà, les possibilités financières des ménages. Nous le pensons pour certains d'entre nous depuis trois, quatre ou cinq ans. En tout cas, nous sommes aujourd'hui tous d'accord. En prédisant leur baisse pour 2012, nous lisons certes les indicateurs économiques et sociaux, mais nous rendons compte aussi d'une certitude, empirique et démontrée. Les classes moyennes, a fortiori les plus modestes, n'en peuvent plus. Il faut une modération urgente.
En tenant ce discours, les professionnels envoient deux messages, un aux vendeurs, un aux acquéreurs.

Aux premiers, ils expliquent qu'une cession ne se réalisera dans des délais normaux que si le prix est révisé par rapport à leurs prétentions, conditionnées par le passé. Les seconds sont incités à se décomplexer par rapport à la négociation, plutôt que de renoncer a priori et d'enrayer le marché.

Bref, les professionnels ont un pouvoir plus important qu'ils ne l'imaginent: modeler le marché en parlant du marché. Les sémiologues, spécialistes des logiques du discours, disent joliment qu'il est performatif.

Les mots créent la réalité. Cette conscience doit en outre conduire les leaders professionnels, présidents d'organisations, de réseaux, d'enseignes nationales à être responsables et à ne pas se payer de mots...Ils l'oublient parfois. Candidat à l'une de ces fonctions dans les prochains mois, je ressens cela comme une charge et comme une dignité.
Jean-François BUET est candidat à la présidence de la Fédération Nationale de l'Immobilier (FNAIM), Président de la FNAIM Côte-d'Or, Secrétaire général de la FNAIM et Président du groupe Buet Immobilier.

Lire la suite...


Articles en relation