Connexion
/ Inscription
Mon espace
Tribunes & Témoignages
ABONNÉS
Partager par Linked-In
Partager par Xing
Partager par Facebook
Partager par email
Suivez-nous sur feedly

[Tribune] BDL Capital Management - Charlie Munger : l'héritage de l'investisseur intelligent

L’analyse de Laurent Chaudeurge, Porte-Parole de la Gestion et Responsable de l’ESG

Charlie Munger, l’associé de Warren Buffett, est décédé il y a quelques jours à l’âge de 99 ans. Il aura largement contribué à la réussite de leur société d’investissement, Berkshire Hathaway, aujourd’hui valorisée à près de
800 Mrds$. Buffett a souligné son importance en déclarant que Berkshire Hathaway n’aurait pas connu un tel succès sans « l’inspiration, la sagesse et la participation de Charlie ». En influençant Buffett, indiscutablement le plus grand investisseur des 70 dernières années, Munger aura profondément influencé la finance en général et l’investissement en particulier.

Son apport décisif, celui qui changera le destin de Berkshire Hathaway, intervient au début des années 70. A l’époque, les deux associés appliquent les enseignements de Benjamin Graham, un professeur de finance américain. L’objectif est d’acheter des entreprises à des prix bien moins élevés que leurs valeurs liquidatives. Le travail consiste à valoriser les actifs tangibles de l’entreprise, comme ses usines, ses bâtiments ou ses stocks, puis à valoriser ses dettes auprès des fournisseurs et des banques. Si la différence entre la valeur des actifs et la valeur des dettes est bien plus élevée que la valeur boursière, alors Graham recommande d’acheter les actions de l’entreprise.

Cette méthode est rationnelle, chiffrée et fonctionne. Buffett et Munger réalisent des performances excellentes dans les années 50 et 60. La qualité de l’entreprise choisie importe peu, pourvu que les calculs montrent un gros écart entre la valeur estimée et la valeur boursière. Graham explique que, tôt ou tard, le marché devient rationnel. Si les calculs de l’investisseur sont corrects, la valeur boursière convergera vers la valeur estimée.

Mais Munger entrevoit des failles dans cette méthode. Avec le succès, Berkshire Hathaway a de plus en plus d’encours à investir. Il faut désormais chercher des entreprises de tailles plus importantes qui sont aussi mieux connues des autres investisseurs. Les chances que ces sociétés soient fortement sous-valorisées sont alors moins nombreuses voire inexistantes. La méthode de Graham est idéale pour des sociétés de petite taille, ignorées de la plupart des investisseurs. Mais dès que les capitaux à investir sont plus importants, les opportunités disparaissent. Munger comprend que le succès de Berkshire Hathaway engendre l’échec de la méthode de Graham et donc celui de Berkshire Hathaway si l’entreprise ne se réinvente pas.

Il constate aussi un second problème. La méthode de Graham occasionne des frottements fiscaux importants. Comme les sociétés achetées sont rarement de grande qualité, l’investisseur ne peut les garder longtemps en portefeuille. Il espère qu’elles convergent rapidement vers leur valeur estimée pour les vendre et en racheter des nouvelles. A chaque fois les plus-values sont fiscalisées, ce qui diminue les sommes d’argent à réinvestir.

Munger mûrit progressivement la solution, celle qui règlera les deux problèmes de la taille et de la fiscalité. Il comprend que Berkshire Hathaway doit privilégier l’investissement dans les sociétés de très grande qualité et non dans les sociétés les moins chères possibles. Il convaincra Buffett qu’il vaut mieux acheter des entreprises exceptionnelles à un prix correct plutôt que des entreprises correctes à un prix exceptionnel. En inversant la « formule » initiale, Munger donne à Buffett la marche à suivre pour investir intelligemment sur les prochaines décennies.

En 1972, il le convainc notamment de payer plus cher qu’il ne l’aurait souhaité pour acheter le fabricant de chocolat américain See’s Candies. Buffett expliquera plus tard que cette acquisition marquera un tournant dans sa façon d’investir. Avec See’s Candies, il expérimentera la valeur inestimable que l’on tire d’une entreprise qui peut investir pendant très longtemps de manière très profitable. Il goûtera à l’effet addictif des « intérêts capitalisés ». Pour s’en convaincre, prenons deux sociétés, A et B, qui ont 100 euros de résultats chacune. A obtient 30% de rendement sur ses investissements contre seulement 10% pour B. En réinvestissant ses 100 euros de bénéfices, A obtient donc 30 euros supplémentaires alors que B ne gagne que 10 euros de plus. L’année suivante les résultats de A sont donc de 130 euros, et sont 18% plus élevés que les 110 euros de résultats de B. Si les deux entreprises continuent ainsi chaque année à réinvestir leurs bénéfices, au bout de 10 ans, les résultats de A seront de 1 378 euros, 5,3x plus que les 259 euros de résultats de B1. Grâce à un meilleur rendement de ses investissements, plus le temps passe, plus l’entreprise A prend de la valeur par rapport à l’entreprise B. Buffett comprend alors que le temps est le meilleur allié des entreprises de grande qualité.

A partir de là, les deux associés concentrent leurs investissements sur des sociétés qui ont un fort avantage concurrentiel grâce à des marques, des licences ou des parts de marchés par exemple. Ils comprennent que cet avantage permet aux entreprises d’investir avec des rendements élevés et durables. Grâce à cette nouvelle méthode, les contraintes de taille et de fiscalité ne sont plus un frein, Berkshire Hathaway peut continuer à investir des capitaux plus importants pendant longtemps et de manière profitable.

Au fur et à mesure que les décennies passent et que les succès de Berkshire Hathaway se confirment, l’approche de Munger devient une évidence et inspire plusieurs générations d’investisseurs. Loin des gestions quantitatives obscures qui sont prépondérantes aujourd’hui, la méthode de Munger est simple et de bon sens, à l’image de son inventeur. En ancrant l’idée qu’il ne faut jamais céder les plus belles entreprises, Munger aura privilégié le discernement à la spéculation et la patience à la précipitation. Il aura ainsi défini ce qu’est l’investissement intelligent.

Lire la suite...


Articles en relation