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[Tribune d’Expert] Un malheur n’arrive jamais seul : …

… après les frais de tenue de compte, les taux négatifs sur les comptes courants ?

Par Nathalie Janson, économiste & enseignant-chercheur du Département Economie, Culture et Affaires Internationales de NEOMA Business School et spécialiste de la politique monétaire et du système bancaire européen.

Il y a quelques jours, est tombée la nouvelle concernant la taxation des comptes courants au-delà de 100 000€ décidée par une banque coopérative allemande - la Raiffensenbank Gmumd am Tegernsee - a quelque peu ému.
En France, où la politique du « ni ni » - ni rémunération des comptes, ni paiement des chèques - a prévalu jusqu’à une période récente, le sujet reste délicat. Dans ce contexte de taux d’intérêt négatifs qui semblent s’être installés pour une période prolongée, au moins jusqu’en 2018, il est évident que la question de la profitabilité des banques se pose. Mais le maintien de cette profitabilité passe-t-il nécessairement par l’application d’une rémunération négative à l’image de ce que la BCE pratique envers les réserves excédentaires des banques ?


La décision prise par la banque coopérative allemande est-elle le pendant du taux négatif que la BCE applique aux dépôts des banques ?

Il n’y a pas de lien opérationnel entre le taux de  dépôts de la BCE et le taux de rémunération des comptes de particuliers. En effet, le taux appliqué par la BCE sur les réserves excédentaires des banques est un instrument de politique monétaire alors que le taux d’intérêt des comptes courants rémunère une ressource. Les réserves des banques commerciales auprès de la banque centrale n’ont pas toujours été rémunérées. Par exemple, jusqu’à la crise de 2007, la Fed ne rémunérait pas les réserves laissées en dépôt par les banques commerciales. Cette absence de rémunération dans un contexte de taux positif était considérée comme une taxe implicite sur les réserves excédentaires. Les banques commerciales américaines avaient pour habitude d’avoir des réserves excédentaires proches de zéro, leur préférant des actifs très liquides - appelés réserves secondaires - comme le bon du Trésor. Cette pratique explique d’ailleurs la forte dépendance des banques américaines au marché monétaire. La rémunération des réserves excédentaires par la BCE permet de rééquilibrer l’arbitrage entre maintien de réserves et détention d’actifs très liquides pour faire face aux imprévus - réserves de précaution. De cette façon la BCE diminue le risque d’illiquidité auquel les banques commerciales peuvent faire face notamment durant les périodes de maintenance des réserves obligatoires.


Les dépôts des particuliers sont des ressources pour les banques commerciales

Ainsi, les dépôts des banques commerciales auprès de la BCE ne constituent en aucun cas une ressource pour la banque centrale, contrairement aux dépôts des particuliers pour les mêmes banques commerciales. La décision de la BCE d’imposer un taux négatif sur les réserves excédentaires s’explique par la volonté de favoriser la distribution de crédit dans un environnement de taux d’intérêt proche de zéro - désormais égal à 0 -  décourageant ainsi la détention de telles réserves. Par contre, ce contexte particulier ne change en rien le fait que les dépôts des particuliers constituent une ressource pour les banques et qu’à ce titre, il est logique de les rémunérer explicitement, la rémunération des comptes courants, ou implicitement, gestion gratuite des services bancaires comme cela a été longtemps le cas en France avec la gratuité des frais de tenue de compte et du traitement des chèques. De ce point de vue, il est vrai que la décision de la banque allemande est surprenante d’autant plus que d’un point de vue marketing ce n’est pas la meilleure stratégie pour attirer de nouveaux clients. Néanmoins elle révèle un problème de fond : l’environnement de taux négatif ne condamne-t-elle pas l’activité bancaire traditionnelle ?


L’environnement de taux négatif : une menace pour l’activité bancaire traditionnelle ?

La persistance de la politique de taux  0 par la BCE et les taux négatifs réduisent en effet la marge de l’intérêt, revenu traditionnel de l’activité de prêt. La décision de la banque coopérative allemande est un moyen facile de restaurer ses marges puisqu’elle lui permet de collecter un revenu supplémentaire. Evidemment le risque majeur est de voir fuir ses clients. Ce n’est pas un hasard si la décision concerne uniquement les comptes courants au-delà de 100 000€. Ces comptes sont détenus par des clients dont les revenus sont à la hauteur de la valeur de leur compte courant. Ils appartiennent à la catégorie des déposants informés et souvent, ils ne sont pas couverts par la garantie des dépôts. En d’autres termes leurs détenteurs ont une compréhension de l’activité bancaire et ont une gestion active de leurs avoirs. A ce titre, ces clients sont traités comme des « professionnels ». En effet, les banques s’appliquent entre elles des taux d’intérêt négatifs tout comme avec d’autres clients institutionnels comme les hedge funds mais aussi avec la clientèle entreprises. Les clients particuliers possédant des comptes courants supérieurs à 100 000€ les détiennent pour couvrir leurs dépenses et par précaution. Est-ce que la taxation de leur compte va modifier leur comportement ? Sans doute que certains clients mécontents pourront s’adresser à la concurrence. Les alternatives sont réduites en termes de placement. Les taux offerts par le marché monétaire sont eux-mêmes négatifs. Pour ce qui est de la concurrence, il n’est pas non plus exclu qu’elle se soit mise en quête de stratégie pour restaurer la marge en augmentant le paiement de services bancaires, stratégie plus sournoise que la taxation des dépôts, ou bien en mettant en place des politiques de réduction des coûts, politique plus vertueuse, mais qui s’inscrit dans le temps.


A quand la taxation des comptes courants en France ?

Dans un pays où la rémunération des comptes courants a longtemps été un sujet tabou, il est difficile de s’imaginer les banques françaises emboîter le pas à la décision de la banque coopérative allemande même si celle-ci fait des émules notamment à la Royal Bank of Scotland. Néanmoins ce n’est pas impossible étant donné que la clientèle concernée s’apparente davantage à une clientèle « grand compte » qu’à celle d’un simple déposant. En outre, depuis janvier 2016, les banques françaises ont déjà pu généraliser l’application de frais de tenue de compte en échange d’une transparence sur la tarification de leurs services.  Par ailleurs, la concurrence est forte sur les services bancaires avec l’arrivée de pure players. Il est certain que dans un pays qui a à peine connu la rémunération positive des comptes courants, il serait malvenu de les taxer !

http://www.neoma-bs.fr/


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